Avant de
lire, sachez d’abord…
Que je me
suis vraiment bien amusé à écrire cette première nouvelle. Merci Liliane, notamment !
Que, et oui,
j’ai eu bien ressenti des émotions, particulièrement à la dernière page (non,
on ne court pas à la derrières page !), et j’espère qu’il en sera de même
pour vous !
Que le choix
des prénoms de mes personnages ne sont pas factices ! Mais, je les ai
choisi parce qu’ils semblaient « coller » à mon imagination, à ma réalité,
pas à la vôtre. Oui, ces personnages existent. Et je les ai connu : John,
un tout petit peu sur une île grecque ; Olivier, un peu, qui est réellement
big boss de services secrets. Isa, espagnole, qui est dans la réalité Isabella,
beaucoup. Enfin, Rose, … « lesquelles »
sont en fait Rosalie et Rosa qui ne sont plus de ce monde, à la folie ; que
Dieu ait leur âme.
Mais ils ont
tous un point commun : je les ai tous appréciés. Certes, différemment…surtout
Rosa et Rosalie.
Mais non,
enfin : vous aussi, je vous aime bien…si vous lisez jusqu’au bout ma
nouvelle, of course !!!
Quant aux
faits évoqués, et bien non : « Toute ressemblance avec des personnages
existants serait purement fortuite ».
Amen
Titre général : « L’équilibre
des sentiments »
Prologue
Au supermarché
Bien sûr, il aurait pu se rendre à l’ancien embarcadère du
lac. Mais son cœur l’avait aidé à se perdre
à la place San Rocco. Place San Rocco… Diable,
voilà de nombreuses années qu’il ne s’était plus rendu sur cette placette. Seules les «Cinque cento » ou autres « Piaggi »
pouvaient encore trouver un pâle refuge à l’ombre. La petite fontaine abreuvait John de sa
fraicheur tandis que l’église, quoique étriquée, l’invitait encore à se glisser
le long de ses murs frais. Pourtant, la
nostalgie avait, une fois de plus, gagné la partie : comme si une rivalité
philosophique existait encore, il avait refusé l’église avant de se tapir sous
la pergola de la « latteria ». Il avait trop connu le col
délicat du cappuccino que prodiguait la commerçante. Bien sûr, à présent, une jeune femme la
remplaçait. Mais pour une fois qu’il
parvenait à savourer quelques instants de répit. Il se lancerait bien un peu
plus tard à l’assaut de la « Coop », ou de «Esselunga » , un de
ces gigantesques monstres qu’à la fois il détestait et affectionnait.
*
* *
Midi.
Les douze coups
sonnent, juste après que la sirène de l’usine voisine hurle sa fatigue. John avait fini par choisir « l’Esselunga ».
Par facilité ? Par habitude ? Parce que sa superficie permettait de se
perdre ? Sincèrement, il n’en
savait rien : il allait peut-être souvent faire ses courses dans ces
grandes surfaces italiennes simplement parce qu’il y trouvait tout. Tout et, en principe, vite. Il espérait chaque fois enfin trouver à la
hâte ce qu’il cherchait. Cependant, il
pestait chaque fois : si l’on trouvait tout, paradoxalement, il n’est pas
certain que John gagnait réellement du temps : imaginez par exemple qu’il aie
besoin de… tomates ! Non, pas des
tomates, mais une boite de tomates concentrées. Alors, une allée complète, à
droite comme à gauche, le noie dans mille incertitudes rouge vif . En supposant qu’il sache
vraiment ce qu’il cherche, ajoutez que ce soit en italien, pour corser le tout.
Il pouvait
bien papoter quelques mots en italien, mais de là à pouvoir expliquer
à cette charmante mais malheureuse dame sa quête désespérée… Que ce soit l’abondance du produit ou, au
contraire, sa rareté, il sortait trop souvent en bougonnant, se disant qu’on ne
le reprendrait plus et qu’il irait, la prochaine fois, c’est certain, chez
l’épicier du coin. Il ne manquait pas
d’épiciers à Verbania. Et pourtant,
presque chaque fois, il se retrouvait dans une grande surface ; car, dans cette multitude, dans cette
abondance, il y quelque chose d’unique, d’étonnant, d’attirant : on peut y
redécouvrir ces
poissons inconnus, ces calamars préparés de mille façons sur les étals , ces
fromages si nombreux qu’un français y perdrait son latin, sans compter des
cochonnailles aux saveurs inédites, juste à côté de miches de ces pains
alléchants et parfumés. Et puis, devant,
derrière, à gauche, à droite, du vin, des vins, des rosés, des rouges, des « frisants »
dans lesquels on croit se noyer. Oui,
c’est ça : il y avait quelque chose de pétillant, d’enivrant, en plus de
ces couleurs tapageuses presque trop vives pour être vivantes. Quelque chose
d’unique, d’étonnant, de singulier ; peut-être quelque chose
d’italien. Quelque chose dont il se souvient. Souvent. Trop souvent.
Chapitre I
Ce ne serait pas le dernier orage.
Elle frappe,
tourmente, martèle à la porte comme aux vitres : la tempête plombe de
nouveau la petite ville de Saint-Hubert.
“Pourquoi,
diable, avais-je accepté de suivre John dans cette bourgade, une des plus froide
de Belgique ? Et qui plus est, il
avait eu la bonne idée de bâtir sa tanière au point culminant de la Forêt du
Roi Albert, avoisinant les cinq cents mètres d’altitude. J’admets que pour un garde-forestier comme
lui, c’est évidemment avantageux. Mais
me voici à mille lieues du centre de la ville qui, en soit, est déjà mortelle :
il ne s’y passe jamais rien et seuls une pâtisserie et un magasin de lingerie
fine survivent ! Allez savoir
pourquoi…. De plus, en tant
qu’anthropologue, je suis bien souvent amenée à me rendre à Bruxelles pour une réunion,
ou à l’étranger, ce qui n’est pas aisé… Alors là, faut-il que je l’aime
pour rester dans ce trou perdu ! “
Une
bourrasque marqua son accord, redoublant de force et d’opiniâtreté. Comme si c’était encore possible.
Evidemment,
John sait se montrer tendre, m’écouter, laisser le temps au
temps. Mais peut-être sait-il également le
faire pour d’autres femmes ! Bien sûr,
nous partageons beaucoup de points de vue communs : voyager, naviguer,
marcher, écouter les mêmes sonates et autres mélodies… Et le fait que j’ai trente-deux ans tandis
que lui frise la cinquantaine n’a jamais posé de problème. Sans doute parce que nos valeurs sont souvent similaires
: par exemple, je ne désire pas d’enfant, lui non plus ; ou encore, nous
ne sommes pas mariés et je ne vois pas l’utilité de ce contrat. Comme il le dit : “ Adieu, foutaises
de convenances “.
“Mais bon, quand même, cette
fois, c’est trop ! Il a dépassé les bornes ! “ s’écria-elle,
comme pour se convaincre.
L’orage
frappa un chêne tandis qu’une branche cédait. Au même instant, la lumière du salon
s’éteignit. D’un coup, dans une pénombre
nouvelle, un ombre jaune remplit la pièce, sans crier gare . Rose pris
peur.
*
* *
C’était
comme ça, il ne pouvait s’en
empêcher : chaque fois qu’il revenait d’un voyage, John s’empressait
d’acheter un présent à sa compagne. Dans
ce geste, on pouvait sans doute deviner un sentiment de tendresse, comme s’il
devait remplacer une passion déjà dépassée. Mais cette fois, l’occasion n’était pas
anodine puisque le jour de son retour correspondrait exactement aux cinq ans qui s’étaient
écoulés depuis leur rencontre. Alors,
une fois n’est pas coutume, il s’était décidé de lui offrir un bijou très
coûteux, un de ces bijoux qui vous aveugle, qui vous rende fou ! Fou d’amour. Comme au premier jour. Et quand on aime, on ne compte pas. Ou si peu…
Depuis que
Verbania était devenue chef-lieu du Piémont, la ville avait retrouvé son lustre d’antan. Pourtant, si vous avez l’embarras du choix
pour trouver un jambon, vous ne disposez pas d’un éventail exceptionnel de
bijouteries puisque qu’une seule survivait, à proximité de la banque populaire
juste en face du lac Majeur, avenue « Vittorio ». Mais le plus difficile restait à faire :
que choisir ? Ou plutôt, quelle
couleur sélectionner ? Car si John
savait que Rose affectionnait particulièrement les bagues, il ne savait vers
quelle gamme de couleurs s’orienter. Il
se savait influencé, ici en Italie, par les jaunes et autres ocres qui couvrent
les murs et les toitures. Ou encore par
le lac qui, après un orage, n’était qu’un immense saphir bleu. Mais froid.
Il se décida
pourtant pour ce bijou bleu, qui s’inscrirait au passage sur le tatouage
discret et bleu qu’
il était peut-être
le seul homme à découvrir, au bas de ses reins. Si chauds.
*
* *
Si les
voyages lui étaient familiers, John détestait les avions. Et davantage encore les
turbulences que ce dernier subissait depuis plusieurs minutes. Les hôtesses avaient beau répéter qu’il n’y
avait pas de risque, les passagers n’en menaient pas large ; John, comme
bien d’autres voyageurs, avait disposé son petit bagage à ses pieds et son sac
principal dans le coffre situé au-dessus de sa tête en cabine. Tout à coup, l’avion subi plusieurs trous
d’air importants et consécutifs, de telle sorte que trois coffres à bagages
s’ouvrirent à sa proximité. Son petit bagage
et ceux de ses voisins furent expulsés plusieurs mètres plus loin. Les hôtesses de l’air leur interdirent de
quitter leur
siège ; ce ne fut
que bien plus tard qu’elles se décidèrent à rendre à
chaque propriétaire leurs effets.
Comme bien
souvent, ce ne fut que plus de peur que de mal.
*
* *
La colère de
Rose avait vite pris
le dessus de
sa frayeur. Que devait-elle penser de ce
ticket d’une nuit d’hôtel double, passée à Ostende sans elle, trouvé dans son
pantalon en faisant sa
lessive ? John détestant la côte
belge, ne s’y rendait que rarement. En
tous cas, ce n’était pas en sa compagnie. Et ce d’autant que ce ticket était accompagné
d’une dépense onéreuse faite chez un fleuriste !
Elle se
savait d’un tempérament envieux, voire même jalouse. Ce trait de caractère lui posait parfois un
sérieux problème dans la mesure où, paradoxalement, elle se voulait libre,
déliée de toutes contraintes. Qui plus
est, John n’était pas un homme asservi, loin de là, car il avait été amené à
s’émanciper.
Quoiqu’il en
soit, ses mains n’en restaient pas moins tremblantes de colère.
*
* *
John se
sentait comme aux premiers jours, malhabile, si heureux de lui apporter ce
cadeau un peu fou, comme s’il suffirait à prouver son
attention passée, sa passion, sa ferveur retrouvée. Il connaissait trop bien sa compagne, et
devinait déjà dans ses yeux pétillants malice et minauderie. Au bout de la longue allée, elle le verrait certainement
arriver de loin.
Le chêne,
partiellement brisé par la foudre peu avant, n’attira même pas son regard. Sa robe brûlée cachait maintenant une peau
riche, trop jeune pour souffrir ; les ocres et jaunes de ce grain juvénile
gardaient pourtant leur ardeur et montreraient leurs forces faces aux embûches de
la vie. Ce ne serait pas le dernier
orage.
Juste avant
d’ouvrir la porte, John chercha la bague. Son visage devint livide. Non, ce n’était pas possible : ce n’était
pas son petit bagage ! L’hôtesse de
l’air lui avait rendu une besace similaire, mais n’ayant pas le même
contenu !
Elle
l’attendait, là. Lui, sur le pas de la
porte ouverte, blafard. Il tremblait. Elle aussi, sur le lit ambré, nue. Ce ne serait pas le dernier orage.
Chapitre 2
Quelques
ocres dans un monde d’hommes. Ou de vrais chiens.
Sept heure trente. Il ouvrit les yeux.
C’est tôt pour avoir froid. Pas certain que “Paris s’éveille“ par ce
froid de canard. Quoi qu’il en soit,
John était de toute façon bien loin de Paris ... Il fallait donc s’extirper de ces draps
moelleux en coton qui respiraient encore une nuit bienfaitrice. Il savait que la journée allait l’agacer,
comme chaque fois. Pourtant, avait-il le
choix ? Aujourd’hui, Gaston,
garde-chasse depuis si longtemps, avait besoin de lui. De lui comme de tous les hommes en âge des
environs.
Au dehors, curieusement, on eût dit
que la cotonnade, en s’éveillant, s’étalait à perte de vue au ras du sol. En automne, à Saint Hubert, une brume
laiteuse avait coutume de s’inviter à la chasse. Toutefois, en tant que garde-forestier, John
n’était pas un rabatteur comme les autres.
Même si bon nombre d’entre-deux connaissaient la marche à suivre, pour
d’autres plus jeunes, c’était une première fois.
*
* *
Huit heures trente.
- « Bon,
écoutez-les gars, quand vous aurez avalé votre café, il sera temps de se mettre en
route. Ici, on ne rigole pas :
Gaston est parti marcher avec les chasseurs… »
Pascal, qui n’a jamais sa langue en poche, apostropha
John en ricanant :
- « Ah bon, c’est les chasseurs qui
marchent cette fois, mais nous qui buvons la gnole aux postes de tir et
qui nous tapons la ‘Grosse Madeleine’ ensuite ? »
John racla sa gorge :
-
« Suffit Pascal ! » s’exclama-t-il. « Nous
allons remonter, pousser le gibier vers les chasseurs. On partira d’ici, en
ligne, vers le Nord-Est. Arrivés au
‘Bloc-Ry’, nous tournons vers le Nord-Ouest jusqu’au ‘Try du taille’. Je vous guiderai, comme d’habitude.
Gustave ? »
Une voix d’outre-tombe émergea :
- « Quoi
encore ? »
- «
Tu t’occupes des chiens . »
-
« HO HISS !!»
Et la bande d’hommes se mit en
branle.
*
* *
Comment savoir qui tenait
l’autre ? En tous cas, ils se
soutenaient l’un l’autre : comme toujours, en rabattant le gibier ou non,
John arpentait les sentiers en compagnie de son inséparable bâton de
marche. Un vrai compagnon. D’ailleurs, il se hasardait de tout lui
raconter. Mais cette fois, un poids
pesait encore sur son estomac. Il
n’avait toujours pas digéré le mensonge et l’infidélité faite à son
épouse. Du reste, il ne lui dirait
jamais. Cette masse sur le ventre était
survenue dès son retour à la maison et maintenant ne le quittait plus.
Mais qu’est-ce qui lui avait pris,
sur la plage d’Ostende, de vouloir séduire cette femme, qu’il ne connaissait ni
d’Adam ni de d’Eve ? L’écume,
souvent si apaisante, rythmée par de vagues mouvements laiteux, à elle-seule,
pouvait suffire pour le calmer, réduire son stress après une réunion trop
houleuse. Non, pas cette fois… Des draps, trop blancs pour rester propres s’en sont mêlés ; parce qu’il
avait faim sans fin, parce qu’il avait faim sans savoir pourquoi. Maintenant, il perdait pied.
Son bâton lui rappela qu’il était
sur terre, que le relief venait de changer et qu’il ne montait plus. D’ailleurs la sapinière faisait maintenant
place à une hêtraie. Les chiens, comme
affamés, hurlaient ; et plus encore !
Terrés jusqu’à la dernière minute, à moins de trois mètres de John, un
chevreuil sorti en premier et, interloqué, prit le parti de foncer à travers la hêtraie, vers les chasseurs
qui l’attendaient. Puis un brocard, sans
doute son petit de l’année passée, tout aussi paniqué, décida, lui de descendre vers la sapinière, noire et sombre.
Coup de poker. Sauvé.
Un coup de feu éclata. De l’autre côté, plus au nord. Silence bref. Puis deux coups. Et un dernier. Le premier chevreuil venait sans doute nous saluer, une ultime fo
*
* *
Sans se rendre compte qu’il noyait des centaines de
fourmis, comme Gargantua l’avait fait avec … des milliers de Parisiens selon
les dires de Rabelais, Gaston soupirait d’aise les yeux perdus dans les étoiles
blanches. Blanches et punaisées par le
gel. Les rafales secouaient la cime des
sapins. L’air devenait humide. Dans la pénombre du soir, il croyait deviner
quelques masses nageuses parvenant de l’ouest.
Il neigerait. Il fersa
brayette.
Le froid l’incita à rejoindre les chasseurs déjà
attablés dans le pavillon de chasse.
John se devait d’assister à ce repas mais sans plaisir… Il ne savait même pas si Gaston lui-même en
profitait.
- « Alors,
Mr le Baron, on l’a eu ce coup-ci, les dix cors, n’est-ce pas ? »
-
« Oui, Mr le Notaire, mais ce n’est pas avec ton
arbalète à poudre qu’on aurait pu l’avoir !!! »
Les rires, déjà gras, fusaient au travers de l’unique
pièce, faite de mélèzes, sans aucune fenêtre ouverte. Oui effectivement,
un des plus vieux cerfs des forêts de Saint-Hubert avait, finalement, tiré sa
révérence. De là à en rire… John était mal à l’aise.
Le vin, qui semblait encore plus rouge que d’habitude
en ce jour de chasse, faisait place au Maitrank, ce petit alcool qui vous fait
très vite oublier
comment vous vous appelez…
Au coin, près du poêle, un jeune chien était là. Perdu. Seul.
Les autres chiens étaient entre eux, dehors. Ils se connaissaient bien ; eux,
c’étaient des chiens de chasse. Mais
Monsieur le Baron avait tenu à faire rentrer son chiot. C’était un magnifique berger allemand. Qui se demanderait ce qu’il faisait là…
Las.
Mais la « Grosse Madeleine », elle, seule au
milieu de tous ces hommes, savait ce qu’elle faisait là ! Ah, oui, elle le savait ! Et elle servait. Et copieusement ! Vous n’en voulez plus de mes gros gras boudins,
blancs ? Et bien, en voilà
encore. Le jeune Marcel, pour qui
c’était la première chasse, semblait baver dans le pigeonnant de la « Grosse
Madeleine ».
Et une bouteille se renverse ! Une ! et une louche de groseilles par
ici, une ! et les champignons par-là, s’il vous plait ! Et la sauce au chocolat sur le gibier !
« HO HISS ! en cadence ! en
chantant ! »
-
Par ici, la Madeleine, tu me laisses mourir de faim ! Ressers-moi vite ! Ripaillons, les Gars !
« HO HISS, les Gars ! »
Plus vite !
Plus, toujours plus, encore plus !!! Et les mains baladent. Dessus.
Et ça crie !
La nappe blanche est morte : vive la “Grosse
Madeleine“ ! Quand va-t-on se rouler dans les ordures ? Hé, la “Grosse Madeleine“, quand est-ce que
Gargantua naitra de ton oreille, bon sang !?
*
* *
John sorti de ce tourbillon. Taché.
Abasourdi. Car il le
savait : ils ne mangeaient plus que par les yeux.
Mon dieu, que le lac Majeur était loin. Dans les yeux du chiot, au coin du feu, il
avait su cueillir quelques sentiments.
Doux. Quelques ocres. Chaudes.
Dehors, l’air respirait aussi. Un nouveau drap avait été dressé. Propre.
Au sol d’abord. Puisque c’est la première neige.
Vingt-trois heures. Il ferma les yeux.
Chapitre III
Quitter le rang
Rose n’en revenait pas : oui bien sûr, elle
connaissait sa demi-sœur ! Elle
l’avait subie pendant toute son adolescence, en dépit de tout. Eléonore avait quelque chose …d’insupportable.
Presque d’odieux. En quelques mots, leurs caractères étaient
antinomiques :] Rose était simple, franche, profitait la nature,
autant Eléonore exhibait un goût altier, arrogant, s’affichait outrecuidance . Dès lors,
elle ne supportait que certains milieux de la « haute » et ne pouvait
vivre qu’en ville, évidemment !
La porte d’entrée la fit sursauter.
- « Ah,
tu es là ! Tu ne sais pas qui m’a
envoyé une lettre ? » s’exclama Rose.
- « Une
lettre ? A part une quelconque
administration… », répondit évasivement John.
- « Eléonore !
Et qui plus est, pour m’annoncer le
décès de son mari Edouard ! Par
lettre ! Tu te rends compte !?
Au lieu de me téléphoner… », soupira-t-elle.
Elle a toujours été démodée.
- « En
tout cas, ne compte sur moi pour aller à l’enterrement de ce petit baron qui se
croyait sorti de la cuisse de Jupiter ! »
- « Nous
sommes bien contraints de nous y rendre ! Elle n’attend que ce type de réaction pour
pouvoir nous vomir un peu plus ! »
- « Il
n’en est pas question : je hais les enterrements et plus encore le sien! En plus, Tournai est à plus de deux-cents
kilomètres de Saint-Hubert. N’y compte
pas ! »
*
* *
Dix heures.
John, qui ne connaissait pas bien Tournai, ne trouva
pas un stationnement à proximité de la cathédrale, mais en bordure de l’Escaut. Il
ne savait trop ce qui le faisait le plus pester : les obsèques de ce
parvenu, de ce « nobillard », la difficulté de trouver un emplacement
ou cette ville… singulière ?
Car John percevait un malaise, là, maintenant :
il sentait une odeur. Inconnue. Sans
parfum. Qui l’écœurait. Haute.
Très haute. Puissante depuis des
siècles. Grise, comme les guerres. Comme une cathédrale…
Et puis, là, plus bas cette fois, mais juste à côté,
un arôme de paix glissait sur un voile bleu, que l’on devinait se perdre un
jour dans la Mer du Nord. Calme. Aujourd’hui, l’Escaut avait gelé.
Rose, devinant les pensées de son compagnon, lui pris
la main :
- « Il
faut y aller, John. Nous n’avons pas le
choix. »
Les yeux de John hésitaient encore, entre un ciel
glacial azuré mais dégagé, libre, et une cathédrale froide qui avait [w43] ordonné trop de guerres. Mais ses pieds montaient déjà, puisqu’il le fallait.
Toute de noire vêtue en ce jour de deuil, la
cathédrale rassemblait ses ouailles sombres, courbées à coups de glas. Rose s’était pourtant conformée à ses idées,
non conventionnelles : habillée d’un sobre et délicat manteau rouge, elle
détonnait dans cette masse macabre : mis à part le mort, on ne voyait
qu’elle.
- « Bonjour,
ma chère, je vois que tu as encore su te faire remarquer… » susurra sa
sœur, peu affligée en ce jour funèbre.
Rose se contenta de la saluer. Et
de se taire.
Car on se tait, à Tournai, surtout quand on est
étranger : dans la cathédrale, la pierre bleue du pays terrasse ses
ouailles qui, pas à pas, avancent encore, un peu tous les jours, vers l’autel,
ce paradis promis, si on a été sage. Et
la gargouille surveille, du haut de son perchoir. Et la voilà, cette odeur sans parfum. Et il entre, cet encens, sans montrer son vrai
visage. De mort, ou de guerre de
religion. Et il ne se montre pas, ou pas
encore, Monsieur l’Evêque. C’est gris. Gris d’argent, masse d’argent, nerf de la
guerre. Pas à pas.
Mais lui, il est là, l’inconnu, à l’entrée de la
cathédrale, loin d’avoir du sang bleu, assis sur le sol, secouant son écuelle,
cherchant à rappeler que le ciel est lumineux, que les oiseaux chantent ! Ou qu’il est simplement là, devant eux :
lui, il respire le respect, exprime la plénitude, une paix certaine. Comme l’Escaut, ses yeux bleus espèrent encore
atteindre un jour un autre paradis. Et
lui, il n’a rien. Si ce n’est l’essentiel : vivre aujourd’hui, sans
craindre ni demain ni l’orgueil.
Comme tout le monde, John faisait la file. Et attendait. Sans rien changer, surtout. Comme si tout se répétait. Encore. Et toujours. C’est alors que le mendiant lui avait souri,
que leurs regards s’étaient croisés. Longuement.
Alors John quitta la main de Rose, et comme pour
s’excuser, caressa délicatement la manche rouge de son manteau. En respirant profondément, il quitta la file
et sorti du rang. Il avait osé. Osé un autre choix.
Chapitre IV
Et pourquoi pas ?
Enfin seul, son fauteuil tient John
à sa merci. Voilà, maintenant, John paye
cher son choix, son exil. Puisqu’il a
préféré ne rien partager. Même pas avec
le mendiant . Le voici
échoué dans son living. Cloué. Les mains en croix, comme un certain qu'il a
dénigré. Il n’a plus de force. Vidé. Puis,
lentement, son bras droit conduit alors une flûte à sa bouche. Vide. Déjà
vide. De sens. Sans aucun son. De toute façon, il n’a plus soif.
Il se sentait très pauvre. Et c’était peut-être le cas.
Minuit moins le quart. Saint-Hubert.
*
* *
- « Rose,
je ne suis pas jalouse…mais sorry, John ne te respecte pas !! »
Isa était d’abord une femme, ensuite
une révoltée. Mais voilà, Rose l’aimait telle
quelle. C’est aussi pour cela qu’elle
avait décidé de passer quelques jours chez elle, à Bruxelles, directement après
l’enterrement de son beau-frère et avoir appris que John avait décidé de
rentrer à Saint-Hubert. Sans l’attendre.
Sans emphase. Seul.
- « Isa,
tu exagères…un peu. John n’est pas la
seule cause de mon mal-être. Il m’offre parfois une bague, un collier… ».
- « Arrête !
A son lever, tu pourras bientôt lui chanter la classique de l’avare : “ Il
est l’or, l’or de se lever…Monseignior... “. Et surtout, si il a le droit de ne pas
partager mes convictions philosophiques, qu’il respecte au moins celles de sa compagne
! Moi, j’ai besoin que tu sois
respectée, notamment en tant que femme ! »
Dans l’estaminet vieux chêne, des
relents de cigarettes mal dissimulées n’en finissaient pas de vouloir mourir. Les uns après les autres, les bocks de bière
avaient fini par faner Rose. Voilà trois jours que Rose dormait chez son
amie. Mal.
- « Tu
le sais Isa… ce cauchemar. Ce
cauchemar de toujours, qui me traîne chaque fois qu’un homme me maltraite.
Tu le sais : c’est cette boule
ronde, noire, énorme, qui roule, qui gronde, qui vient vers moi, guidée par la
colère, qui écrase tout sur son passage. Ce boulet de canon qui ne laisse aucune place
; et nous, nous sommes des quilles, ses quilles ! et chaque fois, le
boulet noir réalise un strike : tout le monde est écrasé , bousculé, quand
il est là, quand il nous frappe…
A côté de cela, il y a une ombre
orange, une autre boule qui n’ose pas dire ce qu’elle est…Mais qui fait du
bien !
Puis la boule noire disparait, part
jouer, se moque…
des autres . Claque la
porte. Violemment. Strike !
Alors, enfin, la boule orange
devient une femme, sans visage, claire, lumineuse. Mais elle continue à se taire. On ose deviner une très belle dame. Ses bleus sur sa peau sont presque beaux. »
- « C’est
de ton père dont tu nous parles, n’est-ce pas, Rose ? »
Deux nouveaux bocks de bières se
déposent encore sur la table imbibée, en guise de réponse. Rose tente de vider sa chope. Et mouille sa jupe. Des hommes la dévisagent . La musique
est forte. Mais bonne. Bonne à prendre, bordel ! Mais c’est trop. Cette fois, elle pleure.
- « Oui.
Et de ma maman. Maman me manque. Papa a été méchant. Pourquoi tu as été si méchant ? Papa… ? »
Dans l’artère noire, une ambulance
en trombe hurle, hurle qu’il est trop tard. Pour réparer.
Et des odeurs de frites sont là,
flirtent, flirtent avec nos sens. Nous
bousculent. Des hommes nous voient, nous
épient. Mais n’osent pas baver. Et c’est bon. C’est bon de les voir attendre, de les voir se
noyer dans leur gueuze . Ça devrait
être bon. A prendre. Apprendre. Apprendre à aimer. A être aimée.
Isa aussi aurait voulu être aimée. Oh oui, elle aussi, elle aurait voulu. Maintenant, elles ne boivent plus : elles
avalent ! Elles ont besoin. Les
sens ; les sens se perdent. Pourtant,
elles n’osent pas. S’aimer. Les mains sont ici et là. Proches. Une chatte miaule. Odeurs de moules. Jeux de mains. Pas vilains. La bière les
lave de tous
soupçons . Ou presque. Voilà, maintement , les mots se sont perdus ! Des hommes les devinent. Jeu de boules, jeu de couleurs. Orange. Noire. La bière les sauve : elles sont
folles, elles s’oublient, l’estaminet a disparu, ne leur appartient plus. Ou
plutôt, si, maintement, tout leur appartient : les paroles
s’enchantent, s’enchainent ! les hommes leurs appartiennent ! Enfin.
Ils ne frappent plus que le vent, ne battent plus que le vide ! Elles sont, pour un instant, au-dessus de la
souffrance, au-delà de l’essentiel. Au-delà
de l’amour. Enfin, elles osent.
Minuit moins une. Ou moins deux…
Chapitre V
Pour quelques pensées de plus
- « Donc, si j’ai bien compris,
pour visiter l’exposition immersive de Monet, nous nous retrouverons à la
Galerie Horta, rue Marché aux herbes ? A Bruxelles évidemment…
- Non, rendez-vous à la Brasserie
Horta située à proximité. Je visiterai
l’exposition seule, le matin. A samedi, à 13 :00. Sois à l’heure, s’il te plaît.
Elle
raccrocha avant John qui se retrouva bien esseulé. L’ambiance ne semblait pas tendre . Sans
être pour autant plombée. La voix de Rose
n’avait pas franchement osé exprimer une animosité à son égard, mais depuis
qu’il avait
quitté brutalement l’enterrement de son beau-frère
à Tournai, une rancœur voulait se dévoiler.
Dans la forêt,
sur une branche voisine, un traquet motteux bleuâtre le narguait : de son
cri cassant, l’oiseau semblait lui rappeler qu’il était un grand migrateur,
lui. Mais dans ce cas, que faisait-il
là, dans ce froid ? D’ailleurs,
souvent violacées en cette saison, des vagues du lac Majeur s’excuseraient
certainement, en sanglotant, maintenant, d’être si éloignées de John.
Une fois de
plus, il devrait quitter Saint-Hubert et effectuer le trajet vers la capitale. Rose avait invoqué une raison professionnelle
pour justifier la
prolongation de son séjour à Bruxelles. Puis, elle lui avait presque imposé ce
rendez-vous à la Brasserie Horta. Pour
« mettre les choses au point », comme elle avait dit… Sans en dire davantage. Mais John n’était pas dupe : ce ne serait
pas une partie de plaisir.
*
* *
Pour tromper
l’ennui, la rame de train avait décidé d’avaler les traverses au plus vite. Et les traverses, une à une, bataillaient
contre le sommeil. Alors, John, à son
tour, se décida d’arrêter de lutter, et écouta les informations à la radio.
*
* *
Treize-heure
et quart.
Elle pestait.
Peut-être aussi à cause du retard de son
compagnon. Quoiqu’il en soit, à présent,
elle était décidée ! Oui, bien sûr
qu’elle aimait John ! Mais, malgré cela, elle avait fait le bilan. Seule. Enfin, non, pas vraiment seule. Cependant, en elle, une aigreur la
transperçait de part en part ; d’ailleurs, ses mains avaient peur de
saigner… Mais non ! Après tout, ce
n’était que la moiteur d’un désir mêlé d’amertume, de dépit, envers celle
qu’elle ne connaît pas, celle qui porte sans doute ces formes, ces rondeurs qui
enivrent les hommes ! celle qui ose, qui étale, qui exhibe ses hanches. A mon homme. A moi. A mon homme à moi !
Elle
pestait. Oui, elle lui dirait ! Elle lui crierait ! Elle lui jetterait ! oui, lui aussi, il
aurait mal ! Mal !
Treize-heure
dix-huit.
Et puis…et
puis il y avait eu cette valse, cette valse des hésitations, ce nouveau saut dans l’inconnu, ces mains qui se sont
perdues... Ces mains qui sentaient bon
l’alcool et l’ivresse de vivre. Et puis,
elle avait dansé, dansé avec elle. Cette
femme.
Troublée.
Rose rougit. Le garçon passe. Court. Repasse. Comme d’habitude. Personne ne l’a vue. Pourtant, elle est mal installée. Le bois est dur. Qu’importe, ses yeux s’enfuient à nouveau : ils se jettent à la mer,
et loin de se noyer dans un courant impressionniste, ils s’accrochent à la
toile. Ils devinent Étretat. Où un homme, à droite, symbolise la virilité,
et se dresse vers le ciel. Une femme à
gauche. Elle ose ne présenter que son
appareil le plus intime. Puis, à côté de
ce trou, le blanc nuageux et le bleu ciel s’associent et, enfin, sous l’effet
d’une simple bourrasque, semblent prêts pour faire le tour du monde. Cette
fois, Monet a oublié le soleil. Pourtant, Rose n’a pas froid. L’eau est chaude. C’est certain : un jour, elle se glissera
entière dans cette envie humide et chaude.
Le bouquet de
fleurs que tient John est enfin arrivé. Il
est essoufflé, respire mal, déniche Rose. Dans un coin, fanée. La peur le tient par l’autre main. Et l’amant s’avance, doucement. Et se décide enfin à parler en offrant ces fleurs, ces violettes mauves
enivrantes, symboles de fidélité, et ces tulipes. Rouges, évidemment.
- « Voici mes pensées »,
déposa-t-il, tout simplement.
D’abord, dans
un silence inodore et sans vrai couleur, son regard préféra se fixer sur un
long parterre d’impatiences. Longuement.
Très longuement. Ensuite, il tomba sur le bois, le bois du banc
de Rose. Il le connaissait, ce bois de
mûrier. Bois dur. Bois de l’envie.
Puis, les
yeux de Rose commencèrent à lui répondre. Goutte à goutte. Sans les mots pour le dire.
Dans la
brasserie, les gloutons continuaient à s’empiffrer, comme si c’était le dernier
repas. Comme si une guerre mondiale s’était conviée. Parce que demain serait
fait de brûlés et de souffre.
Chapitre VI
Vraiment trop ?
Midi.
L’immense billard aurait aimé rester bucolique. Hélas, il était à présent déchiré de part et
d’autre par une sangle grise. Droite
mais convulsive, la Nationale quatre était aujourd’hui singulièrement
calme. Peut-être trop.
*
* *
John avait pris le volant de
la voiture de Rose. Blanche. Elle n’avait pas la tête à ça. D’ailleurs, elle n’aimait pas conduire. Moins encore aujourd’hui que d’habitude. Car elle s’en voulait presque ; de n’avoir pu
parler, de ne pas avoir pu exprimer ses ressentiments, sa jalousie, hier à la
Brasserie Horta ! Mais voilà, à
contrario… elle avait fondu, elle avait craqué devant ce message fleuri de son
amant. Alors, elle avait de nouveau
décidé. Décidé de le reconquérir, comme
elle sait le faire, comme elle peut le faire ! C’est si simple ! Peut-être trop…
*
* *
Trop calme. Trop
gris, devant lui. Les champs, verts à
perte de vue autour de John, attendaient. Attendaient un signal.
Futurs champs de bataille ?
Comme une colombe, la tache blanche filait sur la route, droit devant elle. John fonçait et ressassait ce qu’il avait
entendu à la radio. Et il avait froid .
Froid dans le dos. Mais il avait préféré se taire. Le ciel, lui, était déjà plombé, orageux, suspendu à un simple
fil…
- « Je ne comprends pas bien : à
chaque pompe à essence que nous rencontrons, des files importantes de véhicules
sont à l’arrêt et semblent attendre je ne sais quoi. De toute façon, je devrai prochainement
prendre du diesel. Veux-tu boire un
verre pour te reposer quelques minutes? »
- « Non, merci mon chéri. Mais,
comment te dire… Ce n’est pas de cela dont j’ai soif pour l’instant… »,
répondit-elle, en esquissant quelques minauderies dont elle avait le secret.
Son allusion était on ne peut plus claire. D’ailleurs, il eût fallu être aveugle pour ne
point se rendre compte de ses intentions : ce matin, elle s’était vêtue de
manière si suggestive… Oui, le printemps
était bien de retour. Et malgré ses
inquiétudes, John ne manquerait pas une aubaine de cette nature.
Pourtant, peu après Marche-en-Famenne, à Bande, il quitta la
route vers une pompe à essence voisine.
Là aussi, de nombreuses voitures étaient à l’arrêt.
- « Monsieur, pourriez-vous me dire
ce qu’il se passe ? »
John revint, le visage déconfit. On aurait dit un gamin battu.
- « Voilà,
Rose », balbutia-t-il. « Dans
le train, j’avais entendu à la radio aux informations que la Chine était prête
à attaquer l’Europe, avec le concours de l’Arabie Saoudite et de l’Afrique du Sud.
Ces partenaires sont en pourparlers, mais …une attaque cyber-terroriste vient
d’avoir lieu : globalement, il n’y a plus d’électricité, et donc les
pompes à essence ne savent plus servir de carburants », s’étrangla-t-il. Ces clients escomptent une
potentielle remise en service rapide. Pourtant, selon moi, ils rêvent ».
*
* *
Contre toute attente, disposant encore de combustible, John
avait repris le chemin ; Saint-Hubert n’était plus vraiment loin. Rien n’était plus vraiment loin. Il faudrait simplement se relever, se battre,
d’une manière ou d’une autre contre cette guerre qui ne disait pas son nom.
Dans un premier temps, Rose s’était effondrée. Toutefois,
rapidement, elle s’était ressaisie .
Plus que jamais. Plus que jamais,
il fallait saisir la vie, la prendre, la secouer !
Isa était si loin, maintenant. Ses mains aussi.
- « John, prends ce petit chemin
forestier, là, à droite. »
Dans sa voix, il y avait déjà quelque chose de sauvage. Et le printemps, naissant, peut-être vert
mais si sensuel, voulait le lui prêter, le temps d’un instant. Quelque chose qu’elle voulait partager, avec tous ceux
autour d’elle .
Plus uniquement avec John.
Quelque chose qu’elle n’avait jamais risqué. Quelque chose qu’elle
ferait, ici et maintenant ! C’est
comme cela, John, que je vais te crier ce que je n’ai pas su te dire hier, mais
autrement !
A l’orée du bois, John prit la précaution de stopper la voiture. Bouleaux, chênes, mélèzes et, évidemment,
hêtres, les attendaient. Impatiemment.
Maintenant, pour elle, c’en était trop : elle prit la main droite de John et la
glissa sur sa cuisse sous sa mini-jupe, sans ménagement. C’était sa guerre à elle : elle explosa,
sans modération. C’était ses bombes, ses
missiles à elle !
- « Viens, mon chéri ! Sortons !
Viens près du chêne ! Et tant pis
s’il rompt ! Et tant pis si tu as
trop chaud… ».
“ Car je m’en fous :
j’ai de toute façon une revanche à prendre, mon cher John ! Et je sais que ça te plaira ! “
semblaient murmurer ses lèvres. En ôtant
ses chaussures, elle s’exposa, en plein soleil, sans retenue aucune, en
lingerie fine, aussi rouge qu’explosive.
- « Tu sais John, on peut parfois
hésiter entre la plage et les Ardennes…Et bien, je vais te prouver que dans les
bois, c’est bien aussi ! »
Chapitre VII
Et l’heure trébucha.
Deux ans plus tard.
07 :56.
Au pied du square Victoria Regina, Bruxelles grouille déjà. Et depuis longtemps pour Olivier ; la nuit a été très courte. Du haut du dernier étage
de l’immeuble qu’il occupe, il devine que ces fourmis s’affairent à une quelconque
routine. Pourtant, aujourd’hui, les
lacets gris ou rouges qui défilent sur les rails de la Gare du Nord ne l’amusent pas du tout. Ses yeux sont fixés sur les deux Towers Proximus qui, de
coutume, jouent
avec le vent.
Et là, maintenant, écrasé dans le cuir de son siège, Olivier
hésite. Encore. Une première goutte perle sur son front ;
puis chute. Très vite, une autre a également
déjà choisi. De glisser, avant de se
lancer Elle, du moins. Car lui, par contre, non : il a encore le vertige : il prendrait un
risque considérable. D’un autre côté…
Mon Dieu, quelle journée…
Son GSM personnel finit par prendre la décision et le pris par la
main ! Et Mais maintenant, les ondes
s’amusent à faire le tour du monde, avant de parvenir à son
interlocuteur !
- « Waouw,
que me vaut un appel téléphonique à cette heure matinale de la part du big boss
de la Computer Crime Unit’ ?!! Est-ce que je dois faire un mot
d’excuse à l’intention de ton supérieur, pour avoir trop pinter avec moi hier
soir, mon très cher ami ? », ironise John.
Olivier B. était un ami de très longue date, bien plus malin
que lui, qui n’avait cessé de grimper dans la hiérarchie,
spécialisé dans la gestion de conflits nationaux et internationaux,
particulièrement en matière informatique.
Sa respiration, saccadée, n’était que trop excédée !
- « Ce
coup de téléphone peut notamment me coûter ma place !! C’est à propos de Rose. »
*
* *
Depuis cette guerre sino-européenne en demi-teinte, à
caractère socio-économique, qui perdurait depuis deux ans, Rose avait perdu
l’habitude de déguster un cappuccino si tôt, vers huit heures du matin, même dans ce bar milanais qu’elle
affectionnait particulièrement en raison de ses mélodies exceptionnelles,
lequel portait bien son nom : «Violoncello e pianoforte ». Puisque qu’elle avait perdu son job, à l’image
d’une douce et longue phrase dans un manuscrit qui n’en finit pas, ses journées
paressaient, elles aussi, tandis que ses yeux découvraient, souvent de dos,
quelques belles silhouettes masculines, ce tout en appréciant par
exemple l’excellente complainte d’Adam Hurst intitulée « Séduction » … Elle
appréciait tout simplement la vie. Parfois sans John. Toutefois, sous la
bannière de ce « Fare niente », sa quiétude n’était qu’apparente. Car, ce matin, à la gare centrale de Milan,
Rose avait
rendez-vous. Certes, avec le violoncelle et
le piano ; mais surtout, avec Isa…
*
* *
08 : 02.
John, abasourdi par les dires alarmistes d’Olivier, n’y
croyait pas vraiment. N’empêche, comme
c’était parfois arrivé en temps de paix… Il s’exécuta donc et voulu joindre Rose
immédiatement.
*
* *
Malgré l’origine fasciste de la gare milanaise, Isa continuait
à être subjuguée par le jeu de l’acier et du verre qui semblaient se moquer des
printemps successifs. Il était clair que
cette lumière et cette force métallique galvanisaient ces hommes et ces femmes
qui fonçaient aveuglément dans un vacarme effrayant vers les murs de marbres,
sans vouloir savoir de quoi serait fait demain. Tantôt. Maintenant. Depuis Mussolini jusqu’à
l’instant, d’une voie à l’autre, une voix froide et mécanique les dirige encore.
Et le mendiant, non admis, passe
inaperçu dans ce film gris et glacé.
Mais Isa rêve, s’emballe ! Et ne voit plus que les trains riches et
rouges qui l’enflamment. Encore quelques
minutes, et elle la retrouvera, parmi mille arômes chauds…Pas à pas.
*
* *
08 :05. Non,
ce n’est pas possible ! Quelle
peste ! Elle a encore fermé l’accès à son GSM ! Olivier avait pourtant
insisté lourdement pour qu’elle quitte Milan sans délai. John ne put que déposer un message alarmiste.
Et l’angoisse le
saisit.
08 :07. Il
pensa enfin à Isa ! Et forma son
numéro. Dans sa prière, les secondes de
son chapelet, lourdes et pesantes, s’égrenaient. Dans
un puits sans fond. Elle ne répondait
pas. John devenait fou,
enragé ! Impuissant... Alors, impertinent, il osa penser au Créateur,
lui qui n’avait plus mis les pieds dans une église que pour se rafraichir…
Rose ! Maintenant à mille lieues de lui, et de son
cœur. Déchiré. Ecarlate.
Et puis, tout d’un coup, il se souvint de son ami Luigi, qui
habitait le centre de Milan. Mais oui, évidemment !
*
* *
08 :13.
Le GSM allumé dans le creux de sa main, Luigi courait, sans
ménagement pour les autres piétons, bousculant l’épicier, fonçant vers le bar «
Violoncello e pianoforte », réputé notamment pour son cadre Art Déco. Et puis, Luigi, il était comme ça : il le
ferait, même au prix de sa propre vie, simplement parce qu’un ami le lui avait
demandé. Or, cette fois, John l’avait supplié. Alors…
- « John
…, » cracha-t-il, « …je suis à quelques centaines de
mètres … ».
Tout semblait comme d’habitude, même si nous vivions une “drôle
de guerre “ : l’employé à bicyclette tiré à quatre épingles passait
le feu au rouge calmement, le taxi montait doucement sur la bordure, les bus
saluaient quelques automobilistes à coups de klaxons déjà fatigués…
Luigi jeta quelques gouttes de sueur au sol…
*
* *
08 :14.
Et l’heure trébucha. On s’en doutait. Alors…alors le violoncelle et le piano, cette
explosion de vie, se mirent en grève de concert. Subitement. Comme soulagés de ne plus devoir
être.
Alors, doucement, elle se renversa sur la jupe, courte, de
Rose. Mais cette tache de café se colora
bizarrement d’un rouge, presque feu. Les
arômes avaient été absorbés par sa poitrine, ou par son chemisier, troué, trop blessé.
Et, curieusement, ils avaient été
remplacés simultanément par une odeur forte, unique, uniforme. De brulé. Arômes presque noirs. Chemise presque brune.
La voix métallique de la gare Centrale s’était mécaniquement
tue. Même lui, même l’acier se tordait
de douleur. Mais il vivait encore. Mal. Comme le jeune enfant, juste à côté de lui. Les lumières, fragiles, étaient mortes, en
mille morceaux, elles aussi. Les marbres
imploraient ; et confessaient leurs faiblesses que le rouge cardinal
absolvait en de trop nombreuses galeries. Voilà, ça y est, cette fois, les hommes et les
femmes arrêtent courir. Et paressent, enfin.
Sans culpabilité.
Et puis, il y avait toujours Isa, qui était là, à quelques
enjambées de Rose, qui lui avait jeté une dernière gerbe, une dernière couronne
d’amour, un dernier sourire. Et, elle, Isa, elle respirait d’espoir.
*
* *
Devant, derrière, à droite, à gauche, partout, il y avait
des rouges dans lesquels on croirait se noyer. Oui, c’est ça : il y avait encore quelque
chose de pétillant, d’enivrant, dans ces couleurs tapageuses, presque trop
vives pour être vivantes. Quelque chose
de Bologne ou de New-York, quelque chose dont on se souvient.
Souvent.
Trop souvent.
Sept
ans plus tard.
Après le décès de Rose lors de
l’attentat à la gare Centrale de Milan, John avait décidé de tout quitter. Pour
l’Afrique. Mais sans jamais comprendre ce qui lui était arrivé. Quoique…Si,
peut-être : aujourd’hui, il avait compris ce que c’était que de perdre un
bijou. Que l’important n’était pas de le choisir, mais de savoir le garder. Un
bijou qu’il aimerait toujours, qui ne mourrait jamais vraiment.
Voici la photo de John. A ce jour.
5 commentaires:
Bonjour,
Les jeunes diraient « c’est trop top ! »
Voilà qui résume assez bien ce que je ressens après lecture de ton travail achevé. Je suis sous le charme et admirative. Je ne peux guère dire plus face à cette fiction de grande qualité.
J’ai un peu froncé les sourcils en évaluant la longueur totale, puis je me suis laissé porter au fil des paragraphes…. Et pour finir, le bijou est vraiment perdu !
A bientôt pour la lecture-spectacle. Passe un bel été. Françoise
Bonjour Patrick,
Ton style d'écriture est celui des polars, chronométré, phrases courtes, une histoire d'amour contemporaine, entrecoupée et éternelle. Les décors sont toujours bien plantés, des flashes ciné, le manteau rouge lors d'une cérémonie de funérailles ou tous sont en foncés, le mendiant hors de l'église, les prédictions de guerre avec la Chine et l'Arabie Saoudite, la marre rouge à la gare de Milan, etc...
Matière à écrire un roman, peut-être un jour ?
Mille bravos Patrick.
POUR LA LECTURE : le chapitre 2, scène de chasse, un peu en retrait de l'histoire, mais si vivant.
Merci.Amicalement, Ama
Bonjour Patrick,
Mon coup de coeur Quitter le rang si non Quelques ocres dans un moment d'homme ou de vrai chien.
Merci.
Nadera
Bonjour Patrick,
Ainsi mise au point, ta nouvelle se lit sans difficultés, sauf dans le denier chapitre où il y a encore des pronoms dont on ne sait pas ce qu’ils remplacent. Il serait utile de préciser, mais c’est un détail à côté de la puissance du récit, de la richesse des personnages et de la qualité de l’écriture forte et poétique.
Mes préférences : les chapitres 1 – 2 et 7.
Bonjour cher Patrick,
Je te prie d'excuser mon retard à commenter ton récit. J'ai reçu la visite de ma famille cette semaine et cela à perturbé tout mon planning et retardé mon intention de me consacrer à la lecture du Blog.
En relisant ton texte complet, j'ai ressenti la grande richesse de ton écriture qui déborde d'une simple nouvelle au point que de si beaux descriptifs conviendraient à un roman plein de poésie, de sensualité, de couleurs, de gourmandise jusqu'à la paillardise dans une drôle scène de chasse. Tu délivres un véritable orchestre symphonique d'événements et sentiments humains, en y accordant une grande qualité visuelle. Ma foi, il serait impossible de choisir un chapitre qui soit dépourvu d'émotions, car il y en a partout, jusqu'à une fin tragique digne des grands romans. Pour ma part, deux scènes que j'aime particulièrement dans le descriptif des détails, certes plus terre à terre, mais qui, comme chez Ama, offre le doux et joyeux parfum de la gastronomie italienne c.à.d. la première scène - Midi - dans le supermarché Esselunga ! Et puis, Chapitre III le deuil dans l'église de Tournai, dans un décor glacial qui met en relief une caresse sur la manche du manteau rouge de rose, enfin, plein de petites touches ça et là qui donnent des couleurs changeantes à ton- ou tes - tableaux ! Bravo !
Bien amicalement,
Christiane
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