dimanche 12 mars 2023

 

Jalousie- Violet- Tableau de Monet.

-         -  "Donc, pour visiter l’exposition immersive de Monet, on se retrouve à la Galerie Horta, rue Marché aux herbes ? A Bruxelles évidemment…"

-          - "Non, rendez-vous à la Brasserie Horta située à proximité. Je visiterai l’exposition seule, au matin. A samedi, à 13 :00. Sois à l’heure, s’il te plaît."

Elle raccrocha avant John. L’ambiance, elle non plus ne semblait pas tendre. Sans être pour autant déjà plombée.  La voix de Rose n’osait pas franchement exprimer une animosité à son égard, surtout depuis qu’il avait osé quitter brutalement l’enterrement de son beau-frère à Tournai, mais une rancœur voulait se dévoiler.

Sur une branche voisine, un traquet motteux bleuâtre le narguait : de son cri cassant, il semblait lui rappeler qu’il était un grand migrateur, lui. Mais alors, que faisait-il là, dans ce froid ?  D’ailleurs, souvent violacées en cette saison, des vagues du lac Majeur s’excuseraient certainement, en sanglotant, maintenant, d’être si lointaines de John.

Une fois de plus, il devrait quitter Saint-Hubert et effectuer le trajet vers la capitale. Rose avait invoqué une raison professionnelle pour justifier sa prolongation à Bruxelles. Puis, elle lui avait presque imposé ce rendez-vous à la Brasserie Horta. Pour « mettre les choses au point ». Sans en dire plus. Mais John n’était pas dupe : ce ne serait pas une partie de plaisir…

X

X          X

Pour tromper l’ennui, la rame de train avait décidé d’avaler les traverses au plus vite. Et les traverses, une à une, bataillaient contre le sommeil. Alors, John, à son tour, se décida d’arrêter de lutter, et d’écouta les informations à la radio.

                                                                               X

                                                                    X             X

Treize-heure et quart. Elle pestait. Peut-être à cause du retard de son compagnon. Quoiqu’il en soit, à présent, elle était décidée ! Oui, bien sûr qu’elle aimait John ! Malgré cela, elle avait fait le bilan. Seule. Enfin, non, pas vraiment seule. Mais en elle, une aigreur la transperçait de part en part, ses mains avaient peur de saigner… Cependant, ce n’était que la moiteur d’un désir mêlé d’amertume, de dépit, envers celle qu’elle ignore, celle qui porte sans doute ces formes, ces rondeurs qui enivrent les hommes ! celle qui ose, qui étale, qui exhibe ses hanches. A mon homme. A moi. A mon homme à moi ! Elle pestait.  Oui, elle lui dirait ! Elle lui crierait ! Elle lui jetterait ! oui, lui aussi, il aurait mal ! Mal !

Et puis…et puis il y avait eu cette valse, cette valse des hésitations, ce nouvel saut dans l’inconnu, ces mains qui se sont perdues... Ces mains qui sentaient bon l’alcool et l’ivresse de vivre. Et puis, elle a dansé, dansé avec elle. Cette femme.

 

Troublée. Rose rougit. Le garçon passe. Court. Repasse. Comme d’habitude. Personne ne l’a vue. Pourtant, elle est mal installée. Le bois est dur. Qu’importe, ses yeux s’enfuient à nouveau :  ils se jettent à la mer, et loin de se noyer dans un courant impressionniste, ses yeux s’accrochent à la toile. Ils devinent Étretat. Où un homme, à droite, symbolise la virilité, et le dresse vers le ciel. Une femme à gauche. Elle ose ne présenter que son appareil le plus intime. Puis, à côté de ce trou, le blanc nuageux et le bleu ciel s’associent et, enfin, sous l’effet d’une simple bourrasque, semblent prêts pour faire le tour du monde. Cette fois, Monet a oublié le soleil. Pourtant, Rose n’a pas froid. L’eau est chaude. C’est certain : un jour, elle se glissera entière dans cette envie humide et chaude.

 

Le bouquet de fleurs que tient John est enfin arrivé. Il est essoufflé, respire mal, déniche Rose. Dans un coin. La peur le tient par l’autre main. Et l’amant s’avance, doucement. Et se décide d’oser parler en déposant ces fleurs, ces violettes mauves enivrantes, symboles de fidélité, et ces tulipes. Rouges, évidemment.

-               -   " Voici mes pensées", déposa-t-il, tout simplement.

D’abord, dans un silence inodore et sans vrai couleur, son regard préféra se fixer sur un long parterre d’impatiences. Longuement. Très longuement. Ensuite, il tomba sur le bois, le bois du banc de Rose. Il le connaissait, ce bois de mûrier. Bois dur. Bois de l’envie.

Puis, les yeux de Rose commencèrent à lui répondre. Goutte à goutte.

Dans la brasserie, les gloutons continuaient à s’empiffrer, comme si c’était le dernier repas. Comme si une guerre était conviée.

5 commentaires:

Jan M. a dit…

Bonjour Patrick,
Claude Monet occupe magnifiquement le centre de ton récit, tant par ses couleurs violacées que par ses vagues qui illustrent les sentiments mitigés éprouvés par Rose. Son expérience immersive est encore présente quand elle se trouve dans la brasserie Horta où le souvenir des paisibles tableaux de Monet a cédé la place à ceux d'un Courbet qui rend les falaises d'Etretat plus tourmentées et fortement sensuelles. Le retour à la réalité procure un vrai contraste entre le monde impressionniste dans lequel Rose s'est baignée avec volupté et l'apparition de John qui surgit de façon prosaïque et maladroite avec ses deux bouquets de fleurs symboliques.
Assis tous les deux sur le bois dur de la banquette qui éveille l'envie, ils se frôlent, se devinent, et ce "goutte à goutte" dans les yeux de Rose, présagent-ils d'une dispute "violette" exigeant la fidélité ou d'une passion renaissante à laquelle John invite Rose par ses tulipes rouges ? En quelque sorte une alternance entre Guerre et paix ?
Avec tes deux aventuriers, cher Patrick, il faut s'attendre à tout ! et la suite nous surprendra certainement ...
Bien amicalement,
Christiane

Andrée D. a dit…

Bonsoir Patrick,

D'abord, désolée que mon texte soit si peu compréhensible, à retravailler sans aucun doute.
Ensuite, c'est la troisième fois que je fais et refais le commentaire et qu'il se perd...

Encore un texte fort, une grande tension, les deux sont sur des charbons ardents ... cela me fait penser à un vieux film "La chatte sur un toit brûlant" avec Elisabeth Taylor et Paul Newman.

Monet est mis à l'honneur dans tout ton texte, avec talent. la couleur violet subtilement diffusée. La jalousie, je ne la perçois pas, mais je suis certainement fatiguée ...

Un couple plein de surprises ne peut que pimenter ton récit, que suggérer que tu n'aurais pas envisagé ?

l'intrigue est rondement menée et personne ne saurait dire quel avenir tu réserves à JOHN et Rose.

J'attends la suite ...

Amicalement

Ama

internetfiction2 a dit…

Bonjour Patrick.
C’est beau, tout simplement. J’adore ta manière de jouer avec les mots. Ils valsent, ils vibrent. Ils sont sérieux, malicieux, savoureux. Oui, vraiment cela me plait !
J’attends néanmoins de voir où tu nous emmènes avec John et Rose. Pour le moment je n’en sais trop rien. Je choisis de me laisser porter par ton imagination sans faire aucune suggestion.
Traquet Motteux, nom fort original pour un passereau dont, désormais, je connais l’existence. Merci !
Bonne poursuite. Françoise

Michel M. a dit…

S sur ta belle lancée.
Ecris comme un tableau. J'épingle: valse d'hésitation, ces mains qui sentaient bon l'alcool et l'ivresse de vivre. Le passage sur les yeux est important, le parterre d'impatience et ce bouquet qui sera peut-être le dernier.
BRAVO!
Rose sera t'elle résister à l'ivresse de VIVRE?
Bise.
Nadera

Liliane a dit…

Bonjour Patrick,

Encore un texte qui emporte le lecteur par son rythme haletant. On est fasciné par les personnages, curieux de connaître le destin qu’ils vont se forger. La complexité de ces personnages est remarquablement servie par l’écriture riche, à la fois poétique et lourde de symboles et de non-dits. Elle génère des visions, permet aussi de suivre les divagations de la pensée des personnages, une pensée envahie et désarticulée par les émotions. Les images sont toujours là, fortes et jamais gratuites, elle donnent au texte sa dimension poétique.
Toutefois la poésie ne permet pas tout :
Les yeux de Rose ne peuvent pas « s’accrocher » à une toile qui est ailleurs. Tu pourrais évoquer un regard intérieur qui a capté la toile, une image qui ne la quitte pas… Enfin quelque chose du genre.
Même genre de souci avec l’avant-dernier paragraphe : on est dans le bistrot. Le reste est imaginaire. Là aussi, une précision est nécessaire. Il suffirait peut-être de remplacer « se fixer par « s’évader ».
Si je suis aussi pointilleuse avec ce genre de détails, c’est parce qu’il ne faut pas que le lecteur se laisse distraire par des questions de cohérence et perde ainsi la magie du texte.

Le thème de ton prochain chapitre sera la luxure. La couleur dominante du texte le vert et l’élément-surprise une voiture dont tu trouveras l’image au bas de ton texte annoté.
Bon travail.
Liliane