Chapitre 3 : Orgueil - Bleu et manteau
rouge
Entre ciel et cathédrale
Rose n’en revenait pas : oui
bien sûr, elle connaissait sa demi-sœur ! Elle l’avait subie pendant toute
son adolescence, en dépit de tout. Eléonore avait quelque chose
…d’insupportable. Presque d’odieux. En quelques mots, leurs caractères étaient antinomiques :
si Rose était simple, franche, profitait la nature, autant Eléonore exhibait un
goût altier, arrogant, exprimait une image d’outrecuidance. Dès lors, elle ne supportait
que certains milieux de la « haute » et ne savait vivre qu’en ville,
évidemment !
La porte d’entrée la fit
sursauter.
-
Ah, tu es là ! Tu ne sais pas qui m’a
envoyé une lettre ? s’exclama Rose.
-
Une lettre ? A part une quelconque
administration…, répondit évasivement John.
-
Eléonore ! Et qui plus est, pour m’annoncer
le décès de son mari Edouard ! Par lettre ! Tu te rends compte !? Au
lieu de me téléphoner…soupira-t-elle. Elle a toujours été démodée.
-
En tout cas, ne compte sur moi pour aller à son
enterrement : encore un qui se croyait sorti de la cuisse de Jupiter, tout
baron qu’il soit!
-
Nous sommes bien contraints de nous y
rendre ! Elle n’attend que ce type de réaction pour pouvoir nous vomir un
peu plus !
-
Il n’en est pas question : je haïs les enterrements
et plus encore le sien! En plus, Tournai est à plus de deux-cents kilomètres de
Saint-Hubert. N’y compte pas !
X
X X
10 heures. John, qui ne connaissait pas bien Tournai, ne
trouva pas un stationnement à proximité de la cathédrale, mais juste à côté de
l’Escaut. Il ne savait trop ce qui le faisait le plus pester : les
obsèques de ce parvenu, de ce « nobillard », la difficulté de trouver
un emplacement ou cette ville… singulière ?
Car John percevait un
malaise, là, maintenant : il sentait une odeur. Inconnue. Sans parfum. Qui
l’écoeurait. Haute. Très haute. Puissante depuis des siècles. Grise, comme les
guerres. Comme une cathédrale…
Et puis, là, plus bas cette fois, mais juste à côté, un
arôme de paix glissait sur un voile bleu, que l’on devinait se perdre un jour dans
la Mer du Nord. Calme. Aujourd’hui, l’Escaut avait gelé.
Rose, devinant les pensées de son compagnon, lui pris la
main :
-
Il faut y aller, John. Nous n’avons pas le
choix.
Les yeux de John hésitaient encore, entre un ciel glacial
azuré mais dégagé, et une cathédrale froide qui avait déjà ordonné trop de
guerres. Mais ses pieds montaient déjà, puisqu’il le fallait.
Toute de noire vêtue en ce jour de deuil, la cathédrale
rassemblait ses ouailles sombres, courbées à coups de glas. Rose s’était
pourtant conformée à ses idées, non conventionnelles : habillée d’un sobre
et délicat manteau rouge, elle détonnait dans cette masse macabre : mis à
part le mort, on ne voyait qu’elle.
-
Bonjour, ma chère, je vois que tu as encore su
te faire remarquer…susurra sa sœur, peu affligée en ce jour funèbre. Rose se contenta de la saluer. Et de se
taire.
Car on se tait, à Tournai, surtout quand on est étranger :
dans la cathédrale, la pierre bleue du pays terrasse ses ouailles qui, pas à
pas, avancent encore, un peu tous les jours, vers l’autel, ce paradis promis, si
on a été sage. Et la gargouille surveille, du haut de son perchoir. Et la
voilà, cette odeur sans parfum. Et il entre, cet encens, sans montrer son vrai
visage. De mort, ou de guerre de religion. Et il ne se montre pas, ou pas encore,
Monsieur l’Evêque. C’est gris. Gris d’argent, masse d’argent, nerf de la
guerre. Pas à pas.
Mais lui, il est là, l’inconnu, à l’entrée de la cathédrale,
loin d’avoir du sang bleu, assis sur le sol, secouant son écuelle, cherchant à
rappeler que le ciel est lumineux, que les oiseaux chantent ! Ou qu’il est
simplement là, devant eux : lui, il respire le respect, exprime la
plénitude, une paix certaine. Comme l’Escaut, ses yeux bleus espèrent encore
d’arriver un jour à un autre paradis. Et lui, il n’a rien. Si ce n’est
l’essentiel : vivre aujourd’hui, sans craindre ni demain ni l’orgueil.
Comme tout le monde, John faisait la file. Et attendait.
Sans rien changer, surtout. Comme si tout se répétait. Encore. Et toujours.
C’est alors que le mendiant lui avait souri, que leurs regards s’étaient croisés
longuement.
Alors John quitta la main de Rose, et comme pour s’excuser, caressa
délicatement sa manche rouge de son manteau. En respirant longuement, il quitta
la file et sorti du rang. Il avait osé. Osé un autre choix.
6 commentaires:
Bonjour Patrick
Scotchée, oui, j’étais scotchée à cette superbe page d’écriture.
Ton texte m’a touchée mais je suis bien incapable d’expliquer le pourquoi.
J’ai lu et c’était un moment remarquable. Ce récit a simplement trouvé le petit coin où vivent mes émotions.
J’ai visualisé le délicat manteau rouge remontant vers la nef. Ce contraste avec la cathédrale imprégnée par le gris des guerres est impressionnant et souffle le feu. Le glas retentit, les mines sont compassées, il règne une odeur sans parfum.
Un inconnu survient qui pourrait proposer autre chose. Tu vas me surprendre ?
Françoise
Bravo Patrick ! tu as l'art de composer un tableau ou chaque détail est parlant. Tout est là devant nos yeux nous invitant à une contemplation devant cette grisaille imprégnée d'un cléricalisme pesant, de connivence avec une noblesse ringarde et hypocrite.
Ce manteau rouge plein de vie, au milieu des pierres tristes comme un cimetière me fait penser au petit manteau rose dans une scène en noir et blanc du film de Spielberg "la liste de Schindler". Le mendiant est là comme un signe, ou comme un guide qui fait comprendre à John qu'il peut "oser" faire un autre choix. Mais cet autre choix est il simplement de rebrousser chemin devant cette église ou par rapport à sa vie en général ? Rose fait-elle partie de ce choix ?
L'ambiguïté de John sera-t-elle mise à l'épreuve, car il est à la fois revendicateur avec des idée bien arrêtées, anti homo et en même temps anticlérical. Et si, sans le savoir il se prenait d'amitié pour un prêtre gay ?
Quel sera ton choix ?
Au plaisir de le découvrir dans ton prochain tableau !
Bien amicalement,
Christiane
bonjour Patrick,
Qu'ajouter aux éloges mérités décrits par Christiane et Françoise ? C'est une écriture qui te scotche à la lecture, on en redemande ... Superbe; L'ambiance froide du bleu dehors avec l'Escaut, à l'intérieur de la cathédrale, tant les gens que les pierres, la note chaude du rouge de Rose qui défie l'orgueil froid de l'assemblée... ET PUIS cette vision particulière du mendiant, d'un autre temps, sur le porche de l'Eglise ! Je n'y vais plus souvent, mais je ne vois plus de mendiant. Est-ce pauvre mendiant qui l'invite à faire un choix, peut-être.
Les images sont belles, une peinture ou un film, les émotions sont authentiques; je suis sous le charme. Eleonor aurait-elle un rôle dans sa relation avec Rose ?
Bravo Patrick.
Amicalement,
Ama M
Que te suggérer ?
Bonjour Patrik,
C'est profond, imagé.
J'ai adoré ce texte il y'a un côté spirituel que je ressens.
J'ai pensé au petit chaperon rouge avec le manteau rouge, (chapeau pour l'utilisation de cette consigne). Très belle chute. Après ce passage qu'est-ce qui va changer dans la vie de Rose et son compagnon? Glacial le rapport des 2 soeurs peut-être une suite?
Bravo!
Nadera
Joli le voile bleu
Bonjour Patrick,
Encore un très beau texte qui nous dévoile un nouvel aspect de tes personnages : leur anticonformisme et surtout la haine qu’éprouve John pour les conventions bourgeoises et les endoctrinements de l’Eglise.
La présence du mendiant est une trouvaille pour mettre en évidence le contraste entre l’hypocrise bourgeoise et la vérité de la souffrance humaine.
Tu as habilement exploité la consigne de l’orgueil en la tirant vers la vanité bourgeoise et la suffisance ecclésiastique. Le détail du manteau rouge suffit à traduire l’anticonformisme. Encore cette habileté à utiliser les consignes sans avoir l’air d’y toucher !
Jusqu’à présent tu nous as proposé trois textes très différents, nous sommes clairement dans l’écriture mosaïque. Il te reste 4 textes pour penser à une structure générale qui permettra de les relier en fin de parcours. Loin de t’inciter à t‘enfermer dans une histoire déjà complète dans ton esprit, je te suggère seulement de commencer à imaginer un cadre général.
Une remarque de détail qui peut être utile à tous.
« En tout cas, ne compte sur moi pour aller à son enterrement : encore un qui se croyait sorti de la cuisse de Jupiter, tout baron qu’il soit! »
Cette phrase ne dit pas ce que tu veux dire, à savoir que même si le beau-frère est baron, ce n’est pas une raison pour se vanter, se pavaner, comme un qui se croit sorti de la cuisse de Jupiter.
En fait, ce que dit ta phrase c’est que « même s’il est baron, il se croit sorti de la cuisse de Jupiter » ce qui n’a pas beaucoup de sens, puisque « se croire sorti de la cuisse de Jupiter », c’est « se prendre pour plus qu’on n’est ». Or le beau-frère est déjà baron.
Donc, si tu veux garder les eux éléments, il faudrait quelque chose genre :
En tout cas, ne compte sur moi pour aller à l’enterrement de ce petit baron qui se croyait sorti de la cuisse de Jupiter !
Le thème de ton prochain chapitre sera l’avarice. La couleur dominante du texte l’orange et l’élément-surprise un bowling dont tu trouveras l’image au bas de ton texte annoté.
Bon travail.
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