Elle frappe, tourmente, martèle à
la porte comme aux vitres : la tempête plombe de nouveau Saint-Hubert.
Pourquoi, diable, avais-je accepté de suivre John dans
cette bourgade, une des plus la plus froide de Belgique ? Et qui plus est,
il avait eu la bonne idée de bâtir sa tanière au point culminant de la Forêt du
Roi Albert, avoisinant les 500 mètres d’altitude. J’admets que pour un garde-forestier comme lui,
c’est évidemment avantageux. Mais me voici à mille lieues du centre de la ville
qui, en soit, est déjà mortelle : il ne s’y passe jamais rien et seuls une pâtisserie
et un magasin de lingerie fine survivent ! Allez savoir pourquoi…. De
plus, en, tant qu’anthropologue, je suis bien souvent amenée à me rendre à
Bruxelles, ou à l’étranger, ce qui n’est pas aisé… Alors là, faut-il que
je l’aime pour rester dans ce trou perdu ! ».
Une bourrasque marqua son accord, redoublant de force et d’opiniâtreté.
Comme si c’était encore possible.
Evidemment, John sait se montrer tendre, m’écouter, prendre
le temps au temps. Mais sans doute sait-il le faire pour d’autres femmes aussi !
Bien sûr nous partageons beaucoup de points de vue communs : nous adorons
voyager, naviguer, marcher, écouter les mêmes sonates et autres mélodies….Et le
fait que j’ai 32 ans tandis que lui frise la cinquantaine n’a jamais posé
de problème. Quant à nos valeurs, elles sont souvent identiques : je ne
désire pas d’enfant, et lui non plus ; nous ne sommes pas mariés et je ne
vois pas l’utilité de ce contrat. Comme il le dit : « adieu, foutaises
de convenances ».
« Mais quand même, cette fois, c’est de trop ! Il
a dépassé les bornes ! » cria-elle aux murs.
L’orage frappa un chêne tandis qu’une branche cédait. Au
même instant, la lumière du salon s’éteignit. D’un coup, dans une pénombre
nouvelle, un ombre jaune rempli la pièce, sans crier gare. Rose pris peur.
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C’était comme ça, il ne savait s’en
empêcher : chaque fois qu’il revenait d’un voyage, il s’empressait d’acheter
un présent à sa compagne. Dans ce geste, on pouvait sans doute deviner un
sentiment de tendresse, comme s’il devait remplacer une passion déjà dépassée. Mais
cette fois, l’occasion n’était pas anodine puisque le jour de son retour
correspondrait exactement aux 5 ans qui s’étaient écoulés depuis leur
rencontre. Alors, une fois n’est pas coutume, il s’était décidé de lui offrir
un bijou très coûteux, un de ces bijoux qui vous aveugle, qui vous rende fou !
Fou d’amour. Comme au premier jour. Et quand on aime, on ne compte pas. Ou si
peu…
Depuis que Verbania était devenue chef-lieu du Piémont, la
ville avait retrouvé sa fortune d’antan. Pourtant, si vous avez embarras du choix
pour trouver un jambon, vous ne disposez pas d’un éventail exceptionnel de
bijouteries puisque qu’une seule survivait, à proximité de la banque populaire juste
en face du lac Majeur, avenue « Vittorio ». Mais le plus difficile
restait à faire : que choisir ? Ou plutôt, quelle couleur
sélectionner ? Car si John savait que Rose affectionnait particulièrement les
bagues, il ne savait vers quelle gamme de couleurs s’orienter. Il se savait
influencé, ici en Italie, par les jaunes et autres ocres qui couvrent les murs
et les toitures. Ou encore par le lac qui, après un orage, n’était qu’un immense
rubis bleu. Mais froid.
Il se décida pourtant pour ce bijou bleu, qui s’inscrirait au
passage sur le tatouage discret et bleu dont il était sans doute le seul homme
à découvrir, au bas de ses reins. Si chauds.
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Si les voyages lui étaient
familiers, John détestait les avions. Et d’avantage encore les turbulences que ce
dernier subissait depuis plusieurs minutes. Les hôtesses avaient beau répéter
qu’il n’y avait pas de risque, les passagers n’en menaient pas large ; John,
comme bien des passagers, avait disposé son petit bagage à ses pieds et son sac
principal dans le coffre situé au-dessus de sa tête en cabine. Tout à coup, l’avion
subi 2 trous d’air importants et consécutifs, de telle sorte que 3 coffres à
bagages s’ouvrirent à sa proximité. Son petit bagage et ceux de ses voisins furent
expulsés plusieurs mètres plus loin. Les hôtesses de l’air leur interdirent de
quitter leurs sièges ; ce ne fut que bien plus tard qu’elles se décidèrent
de rendre à chaque propriétaire leurs effets.
Comme bien souvent, ce ne fut que
plus de peur que de mal.
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La colère de Rose avait
vite repris le dessus de sa frayeur. Que devait penser Rose de ce ticket d’une nuit
d’hôtel double, passée à Ostende, trouvé dans son pantalon en faisons sa
lessive ? John détestant la côte
belge, il ne s’y rendait jamais. En tous cas, ce n’était pas en sa compagnie. Et
ce d’autant que ce ticket était accompagné d’une dépense faite chez un
fleuriste.
Elle se savait d’un tempérament envieux, voire même jalouse.
Ce trait de caractère lui posait un sérieux problème, dans la mesure où, paradoxalement,
elle se voulait libre, déliée de toutes contraintes. Qui plus est, John n’était
pas un homme asservi, loin de là, car il avait été amené à s’émanciper.
Quoiqu’il en soit, ses mains n’en restaient pas moins
tremblantes de colère.
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John se sentait comme aux
premiers jours, malhabile, si heureux de lui apporter ce cadeau un peu fou,
comme si celui-ci pouvait par lui seul prouver son attention passée, sa passion,
sa ferveur retrouvée. Il connaissait sa compagne, et devinait déjà dans ses
yeux pétillants malice et minauderie. Au bout de la longue allée, elle le verrait
sans doute arriver de loin.
Le chêne, partiellement brisé par la foudre peu avant, n’attira
même pas son regard. Sa robe brûlée cachait maintenant une peau riche, trop
jeune pour souffrir ; les ocres et jaunes de cette peau jeune gardaient
pourtant leur ardeur et montreraient leurs forces faces aux embûches de la vie.
Ce ne serait pas le dernier orage.
Juste avant d’ouvrir la porte, John chercha la bague. Son visage
devint livide. Non, ce n’était pas possible : ce n’était pas son petit
bagage ! L’hôtesse de l’air lui avait rendu une besace similaire, mais n’ayant
pas le même contenu !
Elle l’attendait, là.
Lui, sur le pas de la porte ouverte, blafard. Il tremblait. Elle aussi, sur
le lit jaune, nue. Ce ne serait pas le dernier orage.
8 commentaires:
Bonjour Patrick,
Un bel orage qui déchire un jeune chêne, la pimpante Rose, 32 ans, anthropologue, qui n'apprécie pas de vivre dans les Ardennes, loin de son lieu de travail, Colère dès qu'elle voit la note de frais hôtel et fleuriste... Colère, jalousie ?
On apprend que JOHN (nationalité ? Profession ? ) a la cinquantaine et est amoureux de Rose; lors d'un séjour au lac Majeur, il lui achète une bague, qui s'égare suite à un trou d'air dans l'avion du retour.
la description du chêne déchiqueté par l'orage, évoquant toute une gamme de jaunes, est presque sensuelle parle t'il du chêne ou de Rose ?
Beaucoup d'ambiguïté dans les descriptions, au début du texte, c'est l'auteur tout puissant qui raconte, ensuite c'est Rose qui fait le point sur son couple, c'est quoi l'ombre jaune qui lui fait peur ?
L'auteur tout puissant, reprend le récit pour situer John.
l'orage météo est un présage à l'orage qui attend le couple. ON imagine bien John dans l'allée qui réalise qu'il n'a pas la bague, mais Rose, "en colère et jalouse", attendrait John, nue dans son lit ?
A mon avis, un dialogue entre le couple aurait dynamisé le texte.
Les consignes sont bien respectées.
SUGGESTION de personnage : Un ami ou une amie de longue date, retrouvée inopinément...
Amicalement,
Ama Marie
Que du bonheur à la lecture de ton texte. Merci pour cette belle page d’écriture qui me donne tellement envie de découvrir la suite.
Y a-t’il méprise ou non de la part de Rose ? Sa jalousie est-elle fondée ? C’est fou comme le mental se fourvoie parfois, part en délires, bâtit des romans noirs et parfois au départ d’un bout de papier !
Bien joué avec les couleurs mais j’hésite : jaune, bleu, ou bien rouge ?
Pour la pierre, autant citer son nom. Avis personnel naturellement. S’il s’agit d’un rubis on voit du rouge car c’est le saphir qui est bleu. (je crois)
Joyeux Noël. Que l’année 2023 te soit belle, douce et heureuse. Françoise
Bonjour Patrick,
Heureux de faire ta connaissance.
Belle description de tes personnages mais je ne les voit pas vraiment ensemble, du moins dans ce texte de présentation.
Que Rose attende John, nue, me fait plutôt penser qu'elle prépare une cruelle revanche...
Une rencontre ? La fille (ou ?) avec laquelle il a partagé une nuitée à la Côte...
C'est vrai que le changement de point de vue d'auteur peut intriguer mais c'est peut-être une narration à deux voix, deux points de vue sur les mêmes événements comme le film La Vie Conjugale avec Marie-Josée Nat - 1964 !,pourquoi pas ?
Vivement la suite et... Joyeuses fêtes !
Bien à toi,
Jan.
Bonsoir Patrick !
J'aime bien et je trouve intéressant le développement de ton histoire en volets alternés, d'une part la version de Rose qui a découvert des preuves d'infidélité, suivie du récit de John désespéré de constater que son bagage a été malencontreusement échangé par l'hôtesse, suite aux turbulences dans l'avion au retour d'Italie. Tu as bien respecté les consignes, en soulignant le jaune et l'ocre apparents sur les murs et toitures des maisons, quant à la bague en "rubis bleu", tu as sans doute voulu dire un "saphir" ? bien que l'origine de la pierre de rubis (qui est rouge) et celle du saphir (bleu) soient apparentées. Peu importe, cette bague symbolique est capitale dans le déroulement de l'histoire où Rose entre dans une colère bel et bien "bleue". Intéressant parallèle en effet avec le film évoqué par Jan : "La Vie Conjugale"avec MJ Nat et Jacques Charrier, j'ai adoré ce film et j'aimerais beaucoup le revoir mais ne sais pas où le retrouver ? Bref, ici ce n'est pas la "même" histoire vue à travers deux regards, mais deux récits en parallèle qui vont sans doute s'entremêler dans les chapitres suivants ? Comme suggéré par Jan, il serait en effet amusant de voir intervenir une ou plusieurs des femmes avec laquelle ou lesquelles ce Don Juan de John a une aventure. Quelle serait alors la réaction de Rose qui prétend penser librement et être au dessus de ces insignifiantes infidélités ? Entre le John aventurier, et le John casanier dans l'ennuyeux patelin de Saint Hubert, ta plume balance ... va-t-elle grincer ? ou nous éclabousser de surprises ? Le Père Noël te dictera peut-être la suite ?
Je te souhaite de Joyeuses fêtes et tout le meilleur pour la suite de tes saintes et moins saintes écritures !
Bien amicalement
Christiane
Hello Patrick,
Jalousie quand tu nous tiens, difficile de s’en débarrasser. Euh, c’est quoi cette Ombre Jaune qui fait peur à notre amie Rose (moi je ne connais que l’adversaire du Bob Morane de ma jeunesse).
Ai-je mal compris, n’est-ce pas Rose l’anthropologue qui voyage beaucoup. Et John le garde forestier qui a entrainé Rose dans son bled, le plus froid de Belgique. Et John a-t-il une maîtresse à Ostende alors qu’il semble encore très amoureux après 5 (longues ?) années de vie commune. Et John de trembler de froid ( ?) lorsqu’il rentre chez lui à l’instar de sa compagne étendue nue, offrande sur le lit.
Voilà quelques questions qui me sont venues mais qui n’empêche nullement la qualité de l’écriture.
Je te souhaite ainsi qu’à tes proches de belles fêtes de fin d’année.
Cordialement, Christian
Bonjour Patrick,
Joli le Chêne et le roseau.
QU'elle est cette ombre jaune qui fait peur?
J'aime le voyage dans le voyage les tranches de vie que tu racontes bien ainsi que les différentes ambiances.
La tempête n'est pas qu'extérieur.
Texte riche avec plein de pistes pour les prochains textes.
Chouette le point de vue du garde forestier avec celui de l'anthropologue.
Ce qui manque c'est la bague! Où est-elle? Va t'elle réapparaître?
Je te souhaite une bonne fin d'année et joyeux NOEL.
Nadera
La rencontre lE bijoutier de la fameuse bague cueillant des champignons en vacances à St Hubert. Le monde est petit
Bonjour Patrick,
Une belle réussite littéraire. Une écriture tout à la fois dynamique, enthousiaste, véhémente, poétique qui emporte le lecteur dans un tourbillon. Un travail très réussi aussi sur l’alternance des narrateurs. Deux personnages, deux points de vue qui ouvrent des perspectives intéressantes pour le lecteur.
Que dire de plus sinon que j’en redemande ! Vu la richesse de ton imaginaire, je me sens un peu mal à l’aise pour te suggérer une rencontre inattendue. Peut-être quelqu’un de son enfance qui a connu un tout autre John, beaucoup moins brillant. Je dis ça, je dis rien !
Le thème de ton deuxième chapitre sera la gourmandise. La couleur dominante du texte le blanc et l’élément-surprise un chien dont tu trouveras l’image au bas de ton texte annoté.
Bon travail.
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