samedi 10 juin 2023

 Bonjour à toutes

J'espère que vous profitez bien de ces chaleurs estivales, belges pourtant! ...et que vous allez bien.

Après beaucoup de réflexion , je me suis décidé pour le texte de Christiane, chapitre 3 (envie, piercing et rouge). J'ai rencontré beaucoup de difficultés pour choisir car chez toutes je découvre des richesses très différentes. Et puis, voilà, j'avais été (fort) bousculé par la pédophilie évoqué par Christiane. Et c'est évidemment quelque chose que nous avons fortement "vécu" en Belgique...

Concernant le choix de mon texte, à présent, je vous propose le texte du chapitre III, qui se passe à Tournai, lors d'un enterrement, remettant en question la position de l'Eglise face à l'agent. 

Si ce texte ne convient pas, le chapitre 4 pourrait peut-être convenir également; le texte aborde la position de la femme face aux hommes, sur fond d'homosexualité et de maltraitance.

Encore une fois, merci d'avoir pris le temps de m'avoir guidé tout au long de l'année . J'ai vraiment pris beaucoup de plaisir et j'espère vous retrouver au top l'année prochaine!!

Bises

Patrick

dimanche 21 mai 2023

 

Avant de lire, sachez d’abord…

Que je me suis vraiment bien amusé à écrire cette première nouvelle. Merci Liliane, notamment !

Que, et oui, j’ai eu bien ressenti des émotions, particulièrement à la dernière page (non, on ne court pas à la derrières page !), et j’espère qu’il en sera de même pour vous !

Que le choix des prénoms de mes personnages ne sont pas factices ! Mais, je les ai choisi parce qu’ils semblaient « coller » à mon imagination, à ma réalité, pas à la vôtre. Oui, ces personnages existent. Et je les ai connu : John, un tout petit peu sur une île grecque ; Olivier, un peu, qui est réellement big boss de services secrets. Isa, espagnole, qui est dans la réalité Isabella, beaucoup.  Enfin, Rose, … « lesquelles » sont en fait Rosalie et Rosa qui ne sont plus de ce monde, à la folie ; que Dieu ait leur âme.

Mais ils ont tous un point commun : je les ai tous appréciés. Certes, différemment…surtout Rosa et Rosalie.

Mais non, enfin : vous aussi, je vous aime bien…si vous lisez jusqu’au bout ma nouvelle, of course !!!

Quant aux faits évoqués, et bien non : « Toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite ».

Amen

 

Titre général :  « L’équilibre des sentiments »

 

Prologue 

Au supermarché

Bien sûr, il aurait pu se rendre à l’ancien embarcadère du lac.  Mais son cœur l’avait aidé à se perdre à la place San Rocco.  Place San Rocco… Diable, voilà de nombreuses années qu’il ne s’était plus rendu sur cette placette.  Seules les «Cinque cento » ou autres « Piaggi » pouvaient encore trouver un pâle refuge à l’ombre.  La petite fontaine abreuvait John de sa fraicheur tandis que l’église, quoique étriquée, l’invitait encore à se glisser le long de ses murs frais.  Pourtant, la nostalgie avait, une fois de plus, gagné la partie : comme si une rivalité philosophique existait encore, il avait refusé l’église avant de se tapir sous la pergola de la « latteria ». Il avait trop connu le col délicat du cappuccino que prodiguait la commerçante.  Bien sûr, à présent, une jeune femme la remplaçait.  Mais pour une fois qu’il parvenait à savourer quelques instants de répit. Il se lancerait bien un peu plus tard à l’assaut de la « Coop », ou de «Esselunga » , un de ces gigantesques monstres qu’à la fois il détestait et affectionnait.

*

 

                                                                                              *       *

Midi.

 Les douze coups sonnent, juste après que la sirène de l’usine voisine hurle sa fatigue.  John avait fini par choisir « l’Esselunga ».  Par facilité ?  Par habitude ?  Parce que sa superficie permettait de se perdre ?  Sincèrement, il n’en savait rien : il allait peut-être souvent faire ses courses dans ces grandes surfaces italiennes simplement parce qu’il y trouvait tout.  Tout et, en principe, vite.  Il espérait chaque fois enfin trouver à la hâte ce qu’il cherchait.  Cependant, il pestait chaque fois : si l’on trouvait tout, paradoxalement, il n’est pas certain que John gagnait réellement du temps : imaginez par exemple qu’il aie besoin de… tomates !  Non, pas des tomates, mais une boite de tomates concentrées. Alors, une allée complète, à droite comme à gauche, le noie dans mille incertitudes rouge vif .  En supposant qu’il sache  vraiment ce qu’il cherche, ajoutez que ce soit en italien, pour corser le tout.  Il pouvait bien papoter quelques mots en italien, mais de là à pouvoir expliquer à cette charmante mais malheureuse dame sa quête désespérée…  Que ce soit l’abondance du produit ou, au contraire, sa rareté, il sortait trop souvent en bougonnant, se disant qu’on ne le reprendrait plus et qu’il irait, la prochaine fois, c’est certain, chez l’épicier du coin.  Il ne manquait pas d’épiciers à Verbania.  Et pourtant, presque chaque fois, il se retrouvait dans une grande surface ;  car, dans cette multitude, dans cette abondance, il y quelque chose d’unique, d’étonnant, d’attirant : on peut y redécouvrir ces poissons inconnus, ces calamars préparés de mille façons sur les étals , ces fromages si nombreux qu’un français y perdrait son latin, sans compter des cochonnailles aux saveurs inédites, juste à côté de miches de ces pains alléchants et parfumés.  Et puis, devant, derrière, à gauche, à droite, du vin, des vins, des rosés, des rouges, des « frisants » dans lesquels on croit se noyer.  Oui, c’est ça : il y avait quelque chose de pétillant, d’enivrant, en plus de ces couleurs tapageuses presque trop vives pour être vivantes.  Quelque chose d’unique, d’étonnant, de singulier ; peut-être quelque chose d’italien.  Quelque chose dont il se souvient.  Souvent. Trop souvent.  

 

 

Chapitre I

Ce ne serait pas le dernier orage.

Elle frappe, tourmente, martèle à la porte comme aux vitres : la tempête plombe de nouveau la petite ville de Saint-Hubert.

“Pourquoi, diable, avais-je accepté de suivre John dans cette bourgade, une des plus froide de Belgique ?  Et qui plus est, il avait eu la bonne idée de bâtir sa tanière au point culminant de la Forêt du Roi Albert, avoisinant les cinq cents mètres d’altitude.  J’admets que pour un garde-forestier comme lui, c’est évidemment avantageux.  Mais me voici à mille lieues du centre de la ville qui, en soit, est déjà mortelle : il ne s’y passe jamais rien et seuls une pâtisserie et un magasin de lingerie fine survivent !  Allez savoir pourquoi….  De plus, en tant qu’anthropologue, je suis bien souvent amenée à me rendre à Bruxelles pour une réunion, ou à l’étranger, ce qui n’est pas aisé…  Alors là, faut-il que je l’aime pour rester dans ce trou perdu ! “

Une bourrasque marqua son accord, redoublant de force et d’opiniâtreté.  Comme si c’était encore possible.

Evidemment, John sait se montrer tendre, m’écouter, laisser le temps au temps.  Mais peut-être sait-il également le faire pour d’autres femmes !  Bien sûr, nous partageons beaucoup de points de vue communs : voyager, naviguer, marcher, écouter les mêmes sonates et autres mélodies…  Et le fait que j’ai trente-deux  ans tandis que lui frise la cinquantaine n’a jamais posé de problème.  Sans doute parce que nos valeurs sont souvent similaires : par exemple, je ne désire pas d’enfant, lui non plus ; ou encore, nous ne sommes pas mariés et je ne vois pas l’utilité de ce contrat.  Comme il le dit : “ Adieu, foutaises de convenances “.

“Mais bon, quand  même, cette fois, c’est trop !  Il a dépassé les bornes ! “ s’écria-elle, comme pour se convaincre.

L’orage frappa un chêne tandis qu’une branche cédait.  Au même instant, la lumière du salon s’éteignit.  D’un coup, dans une pénombre nouvelle, un ombre jaune remplit  la pièce, sans crier gare . Rose pris peur.

                                                                       *

                                                                  *             *

 

C’était comme ça, il ne pouvait  s’en empêcher : chaque fois qu’il revenait d’un voyage, John s’empressait d’acheter un présent à sa compagne.  Dans ce geste, on pouvait sans doute deviner un sentiment de tendresse, comme s’il devait remplacer une passion déjà dépassée.  Mais cette fois, l’occasion n’était pas anodine puisque le jour de son retour correspondrait exactement aux cinq  ans qui s’étaient écoulés depuis leur rencontre.  Alors, une fois n’est pas coutume, il s’était décidé de lui offrir un bijou très coûteux, un de ces bijoux qui vous aveugle, qui vous rende fou !  Fou d’amour.  Comme au premier jour.  Et quand on aime, on ne compte pas.  Ou si peu…

Depuis que Verbania était devenue chef-lieu du Piémont, la ville avait retrouvé son lustre d’antan.  Pourtant, si vous avez l’embarras  du choix pour trouver un jambon, vous ne disposez pas d’un éventail exceptionnel de bijouteries puisque qu’une seule survivait, à proximité de la banque populaire juste en face du lac Majeur, avenue « Vittorio ».  Mais le plus difficile restait à faire : que choisir ?  Ou plutôt, quelle couleur sélectionner ?  Car si John savait que Rose affectionnait particulièrement les bagues, il ne savait vers quelle gamme de couleurs s’orienter.  Il se savait influencé, ici en Italie, par les jaunes et autres ocres qui couvrent les murs et les toitures.  Ou encore par le lac qui, après un orage, n’était qu’un immense saphir  bleu.  Mais froid.

Il se décida pourtant pour ce bijou bleu, qui s’inscrirait au passage sur le tatouage discret et bleu qu’ il  était peut-être le seul homme à découvrir, au bas de ses reins. Si chauds.

                                                                                                                                                                                                      *                                                                                           

                                                *           *

Si les voyages lui étaient familiers, John détestait les avions. Et davantage  encore les turbulences que ce dernier subissait depuis plusieurs minutes.  Les hôtesses avaient beau répéter qu’il n’y avait pas de risque, les passagers n’en menaient pas large ; John, comme bien d’autres voyageurs, avait disposé son petit bagage à ses pieds et son sac principal dans le coffre situé au-dessus de sa tête en cabine.  Tout à coup, l’avion subi plusieurs trous d’air importants et consécutifs, de telle sorte que trois coffres à bagages s’ouvrirent à sa proximité.  Son petit bagage et ceux de ses voisins furent expulsés plusieurs mètres plus loin.  Les hôtesses de l’air leur interdirent de quitter leur siège  ; ce ne fut que bien plus tard qu’elles se décidèrent à rendre à chaque propriétaire leurs effets.

Comme bien souvent, ce ne fut que plus de peur que de mal.

                                                                       *

                                                            *                  *

La colère de Rose avait vite pris  le dessus de sa frayeur.  Que devait-elle penser de ce ticket d’une nuit d’hôtel double, passée à Ostende sans elle, trouvé dans son pantalon en faisant sa lessive ?  John détestant la côte belge, ne s’y rendait que rarement.  En tous cas, ce n’était pas en sa compagnie.  Et ce d’autant que ce ticket était accompagné d’une dépense onéreuse faite chez un fleuriste !

Elle se savait d’un tempérament envieux, voire même jalouse.  Ce trait de caractère lui posait parfois un sérieux problème dans la mesure où, paradoxalement, elle se voulait libre, déliée de toutes contraintes.  Qui plus est, John n’était pas un homme asservi, loin de là, car il avait été amené à s’émanciper.

Quoiqu’il en soit, ses mains n’en restaient pas moins tremblantes de colère.

                                                                           *

                                                                  *             *

John se sentait comme aux premiers jours, malhabile, si heureux de lui apporter ce cadeau un peu fou, comme s’il suffirait à  prouver son attention passée, sa passion, sa ferveur retrouvée.  Il connaissait trop bien sa compagne, et devinait déjà dans ses yeux pétillants malice et minauderie.  Au bout de la longue allée, elle le verrait certainement arriver de loin.

Le chêne, partiellement brisé par la foudre peu avant, n’attira même pas son regard.  Sa robe brûlée cachait maintenant une peau riche, trop jeune pour souffrir ; les ocres et jaunes de ce grain juvénile gardaient pourtant leur ardeur et montreraient leurs forces faces aux embûches de la vie.  Ce ne serait pas le dernier orage.

Juste avant d’ouvrir la porte, John chercha la bague.  Son visage devint livide.  Non, ce n’était pas possible : ce n’était pas son petit bagage !  L’hôtesse de l’air lui avait rendu une besace similaire, mais n’ayant pas le même contenu !

Elle l’attendait, là.  Lui, sur le pas de la porte ouverte, blafard.  Il tremblait.  Elle aussi, sur le lit ambré, nue.  Ce ne serait pas le dernier orage.

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2

Quelques ocres dans un monde d’hommes. Ou de vrais chiens.

Sept heure trente. Il ouvrit les yeux.

C’est tôt pour avoir froid.  Pas certain que “Paris s’éveille“ par ce froid de canard.  Quoi qu’il en soit, John était de toute façon bien loin de Paris ...  Il fallait donc s’extirper de ces draps moelleux en coton qui respiraient encore une nuit bienfaitrice.  Il savait que la journée allait l’agacer, comme chaque fois.  Pourtant, avait-il le choix ?  Aujourd’hui, Gaston, garde-chasse depuis si longtemps, avait besoin de lui.  De lui comme de tous les hommes en âge des environs.

Au dehors, curieusement, on eût dit que la cotonnade, en s’éveillant, s’étalait à perte de vue au ras du sol.  En automne, à Saint Hubert, une brume laiteuse avait coutume de s’inviter à la chasse.  Toutefois, en tant que garde-forestier, John n’était pas un rabatteur comme les autres.  Même si bon nombre d’entre-deux connaissaient la marche à suivre, pour d’autres plus jeunes, c’était une première fois.    

                                                               *

                                               *                             *

 

Huit heures trente.

-              « Bon, écoutez-les gars, quand vous aurez  avalé votre café, il sera temps de se mettre en route.  Ici, on ne rigole pas : Gaston est parti marcher avec les chasseurs… » 

Pascal, qui n’a jamais sa langue en poche, apostropha John en ricanant :

-               «  Ah bon, c’est les chasseurs qui marchent cette fois, mais nous qui buvons la gnole aux postes de tir et qui nous tapons la ‘Grosse Madeleine’ ensuite ? » 

John racla sa gorge :

-          « Suffit Pascal ! » s’exclama-t-il. « Nous allons remonter, pousser le gibier vers les chasseurs. On partira d’ici, en ligne, vers le Nord-Est.  Arrivés au ‘Bloc-Ry’, nous tournons vers le Nord-Ouest jusqu’au ‘Try du taille’.  Je vous guiderai, comme d’habitude. Gustave ? » 

Une voix d’outre-tombe émergea :

-      « Quoi encore ? » 

-         «  Tu t’occupes des chiens . »

-           « HO HISS !!»

Et la bande d’hommes se mit en branle.

 

                                                                                              *

 

                                                                               *                             *

 

Comment savoir qui tenait l’autre ?  En tous cas, ils se soutenaient l’un l’autre : comme toujours, en rabattant le gibier ou non, John arpentait les sentiers en compagnie de son inséparable bâton de marche.  Un vrai compagnon.  D’ailleurs, il se hasardait de tout lui raconter.  Mais cette fois, un poids pesait encore sur son estomac.  Il n’avait toujours pas digéré le mensonge et l’infidélité faite à son épouse.  Du reste, il ne lui dirait jamais.  Cette masse sur le ventre était survenue dès son retour à la maison et  maintenant ne le quittait plus.

 

Mais qu’est-ce qui lui avait pris, sur la plage d’Ostende, de vouloir séduire cette femme, qu’il ne connaissait ni d’Adam ni de d’Eve ?  L’écume, souvent si apaisante, rythmée par de vagues mouvements laiteux, à elle-seule, pouvait suffire pour le calmer, réduire son stress après une réunion trop houleuse.  Non, pas cette fois…  Des draps, trop blancs  pour rester propres s’en sont mêlés ; parce qu’il avait faim sans fin, parce qu’il avait faim sans savoir pourquoi.  Maintenant, il perdait pied.

Son bâton lui rappela qu’il était sur terre, que le relief venait de changer et qu’il ne montait plus.  D’ailleurs la sapinière faisait maintenant place à une hêtraie.  Les chiens, comme affamés, hurlaient ; et plus encore !  Terrés jusqu’à la dernière minute, à moins de trois mètres de John, un chevreuil sorti en premier et, interloqué, prit  le parti de foncer à travers la hêtraie, vers les chasseurs qui l’attendaient.  Puis un brocard, sans doute son petit de l’année passée, tout aussi paniqué, décida, lui de descendre vers la sapinière, noire et sombre.

 

Coup de poker.  Sauvé.

 

Un coup de feu éclata. De l’autre côté, plus au nord.  Silence bref.  Puis deux coups.  Et un dernier.  Le premier chevreuil venait sans doute nous saluer, une ultime fo

                                                                         *

                                                                  *             *

Sans se rendre compte qu’il noyait des centaines de fourmis, comme Gargantua l’avait fait avec … des milliers de Parisiens selon les dires de Rabelais, Gaston soupirait d’aise les yeux perdus dans les étoiles blanches.  Blanches et punaisées par le gel.  Les rafales secouaient la cime des sapins.  L’air devenait humide.  Dans la pénombre du soir, il croyait deviner quelques masses nageuses parvenant de l’ouest.  Il neigerait.  Il fersa brayette.

Le froid l’incita à rejoindre les chasseurs déjà attablés dans le pavillon de chasse.  John se devait d’assister à ce repas mais sans plaisir…  Il ne savait même pas si Gaston lui-même en profitait.

-        «   Alors, Mr le Baron, on l’a eu ce coup-ci, les dix cors, n’est-ce pas ? » 

-          « Oui, Mr le Notaire, mais ce n’est pas avec ton arbalète à poudre qu’on aurait pu l’avoir !!! » 

Les rires, déjà gras, fusaient au travers de l’unique pièce, faite de mélèzes, sans aucune fenêtre ouverte.  Oui effectivement, un des plus vieux cerfs des forêts de Saint-Hubert avait, finalement, tiré sa révérence.  De là à en rire…  John était mal à l’aise.

Le vin, qui semblait encore plus rouge que d’habitude en ce jour de chasse, faisait place au Maitrank, ce petit alcool qui vous fait très vite oublier comment vous vous appelez…  Au coin, près du poêle, un jeune chien était là. Perdu.  Seul.  Les autres chiens étaient entre eux, dehors.  Ils se connaissaient bien ; eux, c’étaient des chiens de chasse.  Mais Monsieur le Baron avait tenu à faire rentrer son chiot.  C’était un magnifique berger allemand.  Qui se demanderait ce qu’il faisait là…  Las.

Mais la « Grosse Madeleine », elle, seule au milieu de tous ces hommes, savait ce qu’elle faisait là !  Ah, oui, elle le savait !  Et elle servait.  Et copieusement !  Vous n’en voulez plus de mes gros gras boudins, blancs ?  Et bien, en voilà encore.  Le jeune Marcel, pour qui c’était la première chasse, semblait baver dans le pigeonnant de la « Grosse Madeleine ».

Et une bouteille se renverse !  Une ! et une louche de groseilles par ici, une ! et les champignons par-là, s’il vous plait !  Et la sauce au chocolat sur le gibier !

« HO HISS ! en cadence ! en chantant ! »

-           Par ici, la Madeleine, tu me laisses mourir de faim !  Ressers-moi vite !  Ripaillons, les Gars ! 

« HO HISS, les Gars ! »

Plus vite !  Plus, toujours plus, encore plus !!!  Et les mains baladent.  Dessus.  Et ça crie !

La nappe blanche est morte : vive la “Grosse Madeleine“ ! Quand va-t-on se rouler dans les ordures ?  Hé, la “Grosse Madeleine“, quand est-ce que Gargantua naitra de ton oreille, bon sang !?

                                                                           *

                                                                  *             *

John sorti de ce tourbillon.  Taché.  Abasourdi.  Car il le savait : ils ne mangeaient plus que par les yeux.

Mon dieu, que le lac Majeur était loin.  Dans les yeux du chiot, au coin du feu, il avait su cueillir quelques sentiments.  Doux.  Quelques ocres.  Chaudes.

Dehors, l’air respirait aussi.  Un nouveau drap avait été dressé.  Propre.  Au sol d’abord. Puisque c’est la première neige.

Vingt-trois heures. Il ferma les yeux.

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre III

Quitter le rang

Rose n’en revenait pas : oui bien sûr, elle connaissait sa demi-sœur !  Elle l’avait subie pendant toute son adolescence, en dépit de tout.  Eléonore avait quelque chose …d’insupportable.  Presque d’odieux.  En quelques mots, leurs caractères étaient antinomiques :] Rose était simple, franche, profitait la nature, autant Eléonore exhibait un goût altier, arrogant, s’affichait outrecuidance .  Dès lors, elle ne supportait que certains milieux de la « haute » et ne pouvait vivre  qu’en ville, évidemment !

La porte d’entrée la fit sursauter.

-              « Ah, tu es là !  Tu ne sais pas qui m’a envoyé une lettre ? » s’exclama Rose.

-              « Une lettre ?  A part une quelconque administration… », répondit évasivement John.

-              « Eléonore !  Et qui plus est, pour m’annoncer le décès de son mari Edouard !  Par lettre !  Tu te rends compte !?  Au lieu de me téléphoner… », soupira-t-elle.  Elle a toujours été démodée.

-              « En tout cas, ne compte sur moi pour aller à l’enterrement de ce petit baron qui se croyait sorti de la cuisse de Jupiter ! »

-              « Nous sommes bien contraints de nous y rendre !  Elle n’attend que ce type de réaction pour pouvoir nous vomir un peu plus ! »

-              « Il n’en est pas question : je hais  les enterrements et plus encore le sien!  En plus, Tournai est à plus de deux-cents kilomètres de Saint-Hubert.  N’y compte pas ! »

                                                                                              *

                                                                  *             *

 

Dix heures.

John, qui ne connaissait pas bien Tournai, ne trouva pas un stationnement à proximité de la cathédrale, mais en bordure de l’Escaut.  Il ne savait trop ce qui le faisait le plus pester : les obsèques de ce parvenu, de ce « nobillard », la difficulté de trouver un emplacement ou cette ville… singulière ?

Car John percevait un malaise, là, maintenant : il sentait une odeur. Inconnue.  Sans parfum.  Qui l’écœurait.   Haute. Très haute.  Puissante depuis des siècles.  Grise, comme les guerres.  Comme une cathédrale…

Et puis, là, plus bas cette fois, mais juste à côté, un arôme de paix glissait sur un voile bleu, que l’on devinait se perdre un jour dans la Mer du Nord. Calme.  Aujourd’hui, l’Escaut avait gelé.

Rose, devinant les pensées de son compagnon, lui pris la main :

-              « Il faut y aller, John.  Nous n’avons pas le choix. »

Les yeux de John hésitaient encore, entre un ciel glacial azuré mais dégagé, libre, et une cathédrale froide qui avait [w43] ordonné trop de guerres.  Mais ses pieds montaient déjà, puisqu’il le fallait.

Toute de noire vêtue en ce jour de deuil, la cathédrale rassemblait ses ouailles sombres, courbées à coups de glas.  Rose s’était pourtant conformée à ses idées, non conventionnelles : habillée d’un sobre et délicat manteau rouge, elle détonnait dans cette masse macabre : mis à part le mort, on ne voyait qu’elle.

-              « Bonjour, ma chère, je vois que tu as encore su te faire remarquer… » susurra sa sœur, peu affligée en ce jour funèbre.  Rose se contenta de la saluer.  Et de se taire.

Car on se tait, à Tournai, surtout quand on est étranger : dans la cathédrale, la pierre bleue du pays terrasse ses ouailles qui, pas à pas, avancent encore, un peu tous les jours, vers l’autel, ce paradis promis, si on a été sage.  Et la gargouille surveille, du haut de son perchoir.  Et la voilà, cette odeur sans parfum.  Et il entre, cet encens, sans montrer son vrai visage.  De mort, ou de guerre de religion.  Et il ne se montre pas, ou pas encore, Monsieur l’Evêque.  C’est gris.  Gris d’argent, masse d’argent, nerf de la guerre.  Pas à pas.

Mais lui, il est là, l’inconnu, à l’entrée de la cathédrale, loin d’avoir du sang bleu, assis sur le sol, secouant son écuelle, cherchant à rappeler que le ciel est lumineux, que les oiseaux chantent !  Ou qu’il est simplement là, devant eux : lui, il respire le respect, exprime la plénitude, une paix certaine.  Comme l’Escaut, ses yeux bleus espèrent encore atteindre un jour un autre paradis.  Et lui, il n’a rien. Si ce n’est l’essentiel : vivre aujourd’hui, sans craindre ni demain ni l’orgueil.

Comme tout le monde, John faisait la file.  Et attendait.  Sans rien changer, surtout.  Comme si tout se répétait.  Encore.  Et toujours.  C’est alors que le mendiant lui avait souri, que leurs regards s’étaient croisés. Longuement.

Alors John quitta la main de Rose, et comme pour s’excuser, caressa délicatement la manche rouge de son manteau.  En respirant profondément, il quitta la file et sorti du rang.  Il avait osé.  Osé un autre choix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre IV

Et pourquoi pas ?

Enfin seul, son fauteuil tient John à sa merci.  Voilà, maintenant, John paye cher son choix, son exil.  Puisqu’il a préféré ne rien partager.  Même pas avec le mendiant . Le voici échoué dans son living.  Cloué.  Les mains en croix, comme un certain qu'il a dénigré.  Il n’a plus de force.  Vidé.  Puis, lentement, son bras droit conduit alors une flûte à sa bouche.  Vide.  Déjà vide.  De sens.  Sans aucun son.  De toute façon, il n’a plus soif.

Il se sentait très pauvre.  Et c’était peut-être le cas.

Minuit moins le quart. Saint-Hubert.

                                                                           *

                                                                  *             *

-              « Rose, je ne suis pas jalouse…mais sorry, John ne te respecte pas !! »

Isa était d’abord une femme, ensuite une révoltée.  Mais voilà, Rose l’aimait telle quelle.  C’est aussi pour cela qu’elle avait décidé de passer quelques jours chez elle, à Bruxelles, directement après l’enterrement de son beau-frère et avoir appris que John avait décidé de rentrer à Saint-Hubert.  Sans l’attendre.  Sans emphase.  Seul.

-              « Isa, tu exagères…un peu.  John n’est pas la seule cause de mon mal-être. Il m’offre parfois une bague, un collier… ».

-              « Arrête ! A son lever, tu pourras bientôt lui chanter la classique de l’avare : “ Il est l’or, l’or de se lever…Monseignior... “.  Et surtout, si il a le droit de ne pas partager mes convictions philosophiques, qu’il respecte au moins celles de sa compagne !  Moi, j’ai besoin que tu sois respectée, notamment en tant que femme ! »  

Dans l’estaminet vieux chêne, des relents de cigarettes mal dissimulées n’en finissaient pas de vouloir mourir.  Les uns après les autres, les bocks de bière avaient fini par faner Rose.  Voilà trois jours que Rose dormait chez son amie.  Mal.

-              « Tu le sais Isa…  ce  cauchemar.  Ce cauchemar de toujours, qui me traîne chaque fois qu’un homme me maltraite. 

Tu le sais : c’est cette boule ronde, noire, énorme, qui roule, qui gronde, qui vient vers moi, guidée par la colère, qui écrase tout sur son passage.  Ce boulet de canon qui ne laisse aucune place ; et nous, nous sommes des quilles, ses quilles ! et chaque fois, le boulet noir réalise un strike : tout le monde est écrasé , bousculé, quand il est là, quand il nous frappe… 

A côté de cela, il y a une ombre orange, une autre boule qui n’ose pas dire ce qu’elle est…Mais qui fait du bien !

Puis la boule noire disparait, part jouer, se moque… des autres .  Claque la porte. Violemment.  Strike !

Alors, enfin, la boule orange devient une femme, sans visage, claire, lumineuse.  Mais elle continue à se taire.  On ose deviner une très belle dame.  Ses bleus sur sa peau sont presque beaux. »

-              « C’est de ton père dont tu nous parles, n’est-ce pas, Rose ? »

Deux nouveaux bocks de bières se déposent encore sur la table imbibée, en guise de réponse.  Rose tente de vider sa chope.  Et mouille sa jupe.  Des hommes la dévisagent .  La musique est forte.  Mais bonne.  Bonne à prendre, bordel !  Mais c’est trop.  Cette fois, elle pleure.

-              « Oui.  Et de ma maman.  Maman me manque.  Papa a été méchant.  Pourquoi tu as été si méchant ?  Papa… ? »

Dans l’artère noire, une ambulance en trombe hurle, hurle qu’il est trop tard.  Pour réparer.

Et des odeurs de frites sont là, flirtent, flirtent avec nos sens.  Nous bousculent.  Des hommes nous voient, nous épient.  Mais n’osent pas baver.  Et c’est bon.  C’est bon de les voir attendre, de les voir se noyer dans leur gueuze .  Ça devrait être bon.  A prendre.  Apprendre. Apprendre à aimer.  A être aimée.

Isa aussi aurait voulu être aimée.  Oh oui, elle aussi, elle aurait voulu.   Maintenant, elles ne boivent plus : elles avalent ! Elles ont besoin.  Les sens ; les sens se perdent.  Pourtant, elles n’osent pas.  S’aimer.  Les mains sont ici et là.  Proches.  Une chatte miaule.  Odeurs de moules.  Jeux de mains.  Pas vilains.  La bière les lave de tous soupçons .  Ou presque.  Voilà, maintement , les mots se sont perdus !  Des hommes les devinent.  Jeu de boules, jeu de couleurs.  Orange.  Noire.  La bière les sauve :  elles sont folles, elles s’oublient, l’estaminet a disparu, ne leur appartient plus. Ou plutôt, si, maintement, tout leur appartient : les paroles s’enchantent, s’enchainent ! les hommes leurs appartiennent !  Enfin.  Ils ne frappent plus que le vent, ne battent plus que le vide !  Elles sont, pour un instant, au-dessus de la souffrance, au-delà de l’essentiel.  Au-delà de l’amour.  Enfin, elles osent.

Minuit moins une.  Ou moins deux…

 

  

 

Chapitre V

Pour quelques pensées de plus

-              « Donc, si j’ai bien compris, pour visiter l’exposition immersive de Monet, nous nous retrouverons à la Galerie Horta, rue Marché aux herbes ?  A Bruxelles évidemment…

-              Non, rendez-vous à la Brasserie Horta située à proximité.  Je visiterai l’exposition seule, le  matin.  A samedi, à 13 :00.  Sois à l’heure, s’il te plaît.

Elle raccrocha avant John qui se retrouva bien esseulé.  L’ambiance ne semblait pas tendre .  Sans être pour autant plombée.  La voix de Rose n’avait pas franchement osé exprimer une animosité à son égard, mais depuis qu’il avait quitté  brutalement l’enterrement de son beau-frère à Tournai, une rancœur voulait se dévoiler.

Dans la forêt, sur une branche voisine, un traquet motteux bleuâtre le narguait : de son cri cassant, l’oiseau semblait lui rappeler qu’il était un grand migrateur, lui.  Mais dans ce cas, que faisait-il là, dans ce froid ?  D’ailleurs, souvent violacées en cette saison, des vagues du lac Majeur s’excuseraient certainement, en sanglotant, maintenant, d’être si éloignées  de John.

Une fois de plus, il devrait quitter Saint-Hubert et effectuer le trajet vers la capitale.  Rose avait invoqué une raison professionnelle pour justifier la prolongation de son séjour  à Bruxelles.  Puis, elle lui avait presque imposé ce rendez-vous à la Brasserie Horta.  Pour « mettre les choses au point », comme elle avait dit…  Sans en dire davantage.  Mais John n’était pas dupe : ce ne serait pas une partie de plaisir.

    *

                                                                  *             *

Pour tromper l’ennui, la rame de train avait décidé d’avaler les traverses au plus vite.  Et les traverses, une à une, bataillaient contre le sommeil.  Alors, John, à son tour, se décida d’arrêter de lutter, et écouta les informations à la radio.

                                                                          *          

                                                                  *             *

                                                                   

Treize-heure et quart.

Elle pestait.  Peut-être aussi à cause du retard de son compagnon.  Quoiqu’il en soit, à présent, elle était décidée !  Oui, bien sûr qu’elle aimait John ! Mais, malgré cela, elle avait fait le bilan.  Seule.  Enfin, non, pas vraiment seule.  Cependant, en elle, une aigreur la transperçait de part en part ; d’ailleurs, ses mains avaient peur de saigner…  Mais non ! Après tout, ce n’était que la moiteur d’un désir mêlé d’amertume, de dépit, envers celle qu’elle ne connaît pas, celle qui porte sans doute ces formes, ces rondeurs qui enivrent les hommes ! celle qui ose, qui étale, qui exhibe ses hanches.  A mon homme.  A moi.  A mon homme à moi !

 

Elle pestait.  Oui, elle lui dirait !  Elle lui crierait !  Elle lui jetterait ! oui, lui aussi, il aurait mal !  Mal !

 

Treize-heure dix-huit.

Et puis…et puis il y avait eu cette valse, cette valse des hésitations, ce nouveau saut dans l’inconnu, ces mains qui se sont perdues...  Ces mains qui sentaient bon l’alcool et l’ivresse de vivre.  Et puis, elle avait dansé, dansé avec elle.  Cette femme.

 

Troublée. Rose rougit.  Le garçon passe.  Court.  Repasse.  Comme d’habitude.  Personne ne l’a vue.  Pourtant, elle est mal installée.  Le bois est dur.  Qu’importe, ses yeux s’enfuient à nouveau : ils se jettent à la mer, et loin de se noyer dans un courant impressionniste, ils s’accrochent à la toile.  Ils devinent Étretat.  Où un homme, à droite, symbolise la virilité, et se dresse vers le ciel.  Une femme à gauche.  Elle ose ne présenter que son appareil le plus intime.  Puis, à côté de ce trou, le blanc nuageux et le bleu ciel s’associent et, enfin, sous l’effet d’une simple bourrasque, semblent prêts pour faire le tour du monde. Cette fois, Monet a oublié le soleil.  Pourtant, Rose n’a pas froid.  L’eau est chaude.  C’est certain : un jour, elle se glissera entière dans cette envie humide et chaude.

 

Le bouquet de fleurs que tient John est enfin arrivé.  Il est essoufflé, respire mal, déniche Rose.  Dans un coin, fanée.  La peur le tient par l’autre main.  Et l’amant s’avance, doucement.  Et se décide enfin à parler en offrant ces fleurs, ces violettes mauves enivrantes, symboles de fidélité, et ces tulipes.  Rouges, évidemment.

-              « Voici mes pensées », déposa-t-il, tout simplement.

D’abord, dans un silence inodore et sans vrai couleur, son regard préféra se fixer sur un long parterre d’impatiences.  Longuement.  Très longuement.  Ensuite, il tomba sur le bois, le bois du banc de Rose.  Il le connaissait, ce bois de mûrier.  Bois dur.  Bois de l’envie.

Puis, les yeux de Rose commencèrent à lui répondre.  Goutte à goutte. Sans les mots pour le dire.

Dans la brasserie, les gloutons continuaient à s’empiffrer, comme si c’était le dernier repas. Comme si une guerre mondiale s’était conviée. Parce que demain serait fait de brûlés et de souffre.

 

 

 

 

Chapitre VI

Vraiment trop ?

Midi.

L’immense billard aurait aimé rester bucolique.  Hélas, il était à présent déchiré de part et d’autre par une sangle grise.  Droite mais convulsive, la Nationale quatre était aujourd’hui singulièrement calme.  Peut-être trop.

                                                                          *

                                                                  *             *

John avait pris le volant de la voiture de Rose.  Blanche.  Elle n’avait pas la tête à ça.  D’ailleurs, elle n’aimait pas conduire.  Moins  encore aujourd’hui que d’habitude.  Car elle s’en voulait presque ; de n’avoir pu parler, de ne pas avoir pu exprimer ses ressentiments, sa jalousie, hier à la Brasserie Horta !  Mais voilà, à contrario… elle avait fondu, elle avait craqué devant ce message fleuri de son amant.  Alors, elle avait de nouveau décidé.  Décidé de le reconquérir, comme elle sait le faire, comme elle peut le faire !  C’est si simple !  Peut-être trop…

                                                                           *

                                                                  *             *

Trop calme.  Trop gris, devant lui.  Les champs, verts à perte de vue autour de John, attendaient.  Attendaient  un signal.  Futurs champs de bataille ?  Comme une colombe, la tache blanche filait  sur la route, droit devant elle.  John fonçait et ressassait ce qu’il avait entendu à la radio.  Et il avait froid .  Froid dans le dos.  Mais il avait  préféré se taire.  Le ciel, lui, était  déjà plombé, orageux, suspendu à un simple fil…

-        « Je ne comprends pas bien : à chaque pompe à essence que nous rencontrons, des files importantes de véhicules sont à l’arrêt et semblent attendre je ne sais quoi.  De toute façon, je devrai prochainement prendre du diesel.  Veux-tu boire un verre pour te reposer quelques minutes? »

-        « Non, merci mon chéri. Mais, comment te dire… Ce n’est pas de cela dont j’ai soif pour l’instant… », répondit-elle, en esquissant quelques minauderies dont elle avait le secret.

Son allusion était on ne peut plus claire.  D’ailleurs, il eût fallu être aveugle pour ne point se rendre compte de ses intentions : ce matin, elle s’était vêtue de manière si suggestive…  Oui, le printemps était bien de retour.  Et malgré ses inquiétudes, John ne manquerait pas une aubaine de cette nature.

Pourtant, peu après Marche-en-Famenne, à Bande, il quitta la route vers une pompe à essence voisine.  Là aussi, de nombreuses voitures étaient à l’arrêt.

-        « Monsieur, pourriez-vous me dire ce qu’il se passe ? »

John revint, le visage déconfit.  On aurait dit un gamin battu.

-        « Voilà, Rose », balbutia-t-il.  « Dans le train, j’avais entendu à la radio aux informations que la Chine était prête à attaquer l’Europe, avec le concours de l’Arabie Saoudite et de l’Afrique du Sud.  Ces partenaires sont en pourparlers, mais …une attaque cyber-terroriste vient d’avoir lieu : globalement, il n’y a plus d’électricité, et donc les pompes à essence ne savent plus servir de carburants », s’étrangla-t-il. Ces clients escomptent une potentielle remise en service rapide. Pourtant, selon moi, ils rêvent ».

                                                                                               *

                                                                  *             *

Contre toute attente, disposant encore de combustible, John avait repris le chemin ; Saint-Hubert n’était plus vraiment loin.  Rien n’était plus vraiment loin.  Il faudrait simplement se relever, se battre, d’une manière ou d’une autre contre cette guerre qui ne disait pas son nom.

Dans un premier temps, Rose s’était effondrée. Toutefois, rapidement, elle s’était ressaisie .  Plus que jamais.  Plus que jamais, il fallait saisir la vie, la prendre, la secouer !

Isa était si loin, maintenant.  Ses mains aussi.

-        « John, prends ce petit chemin forestier, là, à droite. »

Dans sa voix, il y avait déjà quelque chose de sauvage.  Et le printemps, naissant, peut-être vert mais si sensuel, voulait le lui prêter, le temps d’un instant.  Quelque chose qu’elle voulait partager, avec tous ceux autour d’elle .  Plus uniquement avec John.  Quelque chose qu’elle n’avait jamais risqué. Quelque chose qu’elle ferait, ici et maintenant !  C’est comme cela, John, que je vais te crier ce que je n’ai pas su te dire hier, mais autrement !

A l’orée du bois, John prit  la précaution de stopper la voiture.  Bouleaux, chênes, mélèzes et, évidemment, hêtres, les attendaient. Impatiemment.

Maintenant, pour elle, c’en était trop : elle prit la main droite de John et la glissa sur sa cuisse sous sa mini-jupe, sans ménagement.  C’était sa guerre à elle : elle explosa, sans modération.  C’était ses bombes, ses missiles à elle !

-        « Viens, mon chéri ! Sortons ! Viens près du chêne !  Et tant pis s’il rompt !  Et tant pis si tu as trop chaud… ». 

“ Car je m’en fous : j’ai de toute façon une revanche à prendre, mon cher John !  Et je sais que ça te plaira ! “ semblaient murmurer ses lèvres.  En ôtant ses chaussures, elle s’exposa, en plein soleil, sans retenue aucune, en lingerie fine, aussi rouge qu’explosive.

-        « Tu sais John, on peut parfois hésiter entre la plage et les Ardennes…Et bien, je vais te prouver que dans les bois, c’est bien aussi ! »

 

 

 

 

 

 

Chapitre VII

Et l’heure trébucha.

Deux ans plus tard.

07 :56.

Au pied du square Victoria Regina, Bruxelles grouille déjà.  Et depuis longtemps pour Olivier  ; la nuit a été très courte. Du haut du dernier étage de l’immeuble qu’il occupe, il devine  que ces fourmis s’affairent à une quelconque routine.  Pourtant, aujourd’hui, les lacets gris ou rouges qui défilent  sur les rails de la Gare du Nord ne l’amusent  pas du tout.  Ses yeux sont  fixés sur les deux Towers Proximus qui, de coutume, jouent  avec le vent.

Et là, maintenant, écrasé dans le cuir de son siège, Olivier hésite.  Encore.  Une première goutte perle sur son front ; puis chute.  Très vite, une autre a également déjà choisi.  De glisser, avant de se lancer  Elle, du moins.  Car lui, par contre, non :  il a encore le vertige : il prendrait un risque considérable.  D’un autre côté… Mon Dieu, quelle journée…

Son GSM personnel finit  par prendre la décision et le pris par la main !  Et Mais maintenant, les ondes s’amusent à faire le tour du monde, avant de parvenir à son interlocuteur !

-              «  Waouw, que me vaut un appel téléphonique à cette heure matinale de la part du big boss de la Computer Crime Unit’ ?!!  Est-ce que je dois faire un mot d’excuse à l’intention de ton supérieur, pour avoir trop pinter avec moi hier soir, mon très cher ami ? »,  ironise John.

Olivier B. était  un ami de très longue date, bien plus malin que lui, qui n’avait cessé de grimper dans la hiérarchie, spécialisé dans la gestion de conflits nationaux et internationaux, particulièrement en matière informatique.

-              « Tais-toi, John…. » 

Sa respiration, saccadée, n’était que trop excédée ! 

-              « Ce coup de téléphone peut notamment me coûter ma place !! C’est à propos de Rose. »

                                                                         *                     

                                                                  *             *

Depuis cette guerre sino-européenne en demi-teinte, à caractère socio-économique, qui perdurait depuis deux ans, Rose avait perdu l’habitude de déguster un cappuccino si tôt, vers huit heures  du matin, même dans ce bar milanais qu’elle affectionnait particulièrement en raison de ses mélodies exceptionnelles, lequel portait bien son nom : «Violoncello e pianoforte ».  Puisque qu’elle avait perdu son job, à l’image d’une douce et longue phrase dans un manuscrit qui n’en finit pas, ses journées paressaient, elles aussi, tandis que ses yeux découvraient, souvent de dos, quelques belles silhouettes  masculines, ce tout en appréciant par exemple l’excellente complainte d’Adam Hurst intitulée « Séduction » … Elle appréciait tout simplement la vie. Parfois sans John. Toutefois, sous la bannière de ce « Fare niente », sa quiétude n’était qu’apparente.  Car, ce matin, à la gare centrale de Milan, Rose avait  rendez-vous. Certes, avec le violoncelle et le piano ; mais surtout, avec Isa…

 

 

                                                                           *

                                                                  *             *

08 : 02.                

John, abasourdi par les dires alarmistes d’Olivier, n’y croyait pas vraiment.  N’empêche, comme c’était parfois arrivé en temps de paix…  Il s’exécuta donc et voulu joindre Rose immédiatement.

                                                                          *

                                                                  *             *

Malgré l’origine fasciste de la gare milanaise, Isa continuait à être subjuguée par le jeu de l’acier et du verre qui semblaient se moquer des printemps successifs.  Il était clair que cette lumière et cette force métallique galvanisaient ces hommes et ces femmes qui fonçaient aveuglément dans un vacarme effrayant vers les murs de marbres, sans vouloir savoir de quoi serait fait demain.  Tantôt.  Maintenant. Depuis Mussolini jusqu’à l’instant, d’une voie à l’autre, une voix froide et mécanique les dirige encore.  Et le mendiant, non admis, passe inaperçu dans ce film gris et glacé.

Mais Isa rêve, s’emballe !  Et ne voit plus que les trains riches et rouges qui l’enflamment.  Encore quelques minutes, et elle la retrouvera, parmi mille arômes chauds…Pas à pas.

                                                                                               *

                                                                  *             *

 

08 :05.                   Non, ce n’est pas possible !  Quelle peste ! Elle a encore fermé l’accès à son GSM ! Olivier avait pourtant insisté lourdement pour qu’elle quitte Milan sans délai.  John ne put que déposer un message alarmiste.

 Et l’angoisse le saisit.

08 :07.                  Il pensa enfin à Isa !  Et forma son numéro.  Dans sa prière, les secondes de son chapelet, lourdes et pesantes, s’égrenaient.   Dans un puits sans fond.  Elle ne répondait pas.  John devenait fou, enragé !  Impuissant...  Alors, impertinent, il osa penser au Créateur, lui qui n’avait plus mis les pieds dans une église que pour se rafraichir…

Rose ! Maintenant à mille lieues de lui, et de son cœur.  Déchiré.  Ecarlate.

Et puis, tout d’un coup, il se souvint de son ami Luigi, qui habitait le centre de Milan. Mais oui, évidemment !

                                                                                               *                     

                                                                  *             *

08 :13.                 

Le GSM allumé dans le creux de sa main, Luigi courait, sans ménagement pour les autres piétons, bousculant l’épicier, fonçant vers le bar « Violoncello e pianoforte », réputé notamment pour son cadre Art Déco.  Et puis, Luigi, il était comme ça : il le ferait, même au prix de sa propre vie, simplement parce qu’un ami le lui avait demandé. Or, cette fois, John l’avait supplié.  Alors… 

-                « John …, » cracha-t-il, « …je suis à quelques centaines de mètres … ». 

Tout semblait comme d’habitude, même si nous vivions une “drôle de guerre “ : l’employé à bicyclette tiré à quatre épingles passait le feu au rouge calmement, le taxi montait doucement sur la bordure, les bus saluaient quelques automobilistes à coups de klaxons déjà fatigués…

Luigi jeta quelques gouttes de sueur au sol…

                                                                         *

                                                                  *             *

08 :14.                 

Et l’heure trébucha.  On s’en doutait.  Alors…alors le violoncelle et le piano, cette explosion de vie, se mirent en grève de concert.  Subitement. Comme soulagés de ne plus devoir être.

Alors, doucement, elle se renversa sur la jupe, courte, de Rose.  Mais cette tache de café se colora bizarrement d’un rouge, presque feu.  Les arômes avaient été absorbés par sa poitrine, ou par son chemisier, troué, trop blessé.  Et, curieusement, ils avaient été remplacés simultanément par une odeur forte, unique, uniforme.  De brulé.  Arômes presque noirs.  Chemise presque brune.

La voix métallique de la gare Centrale s’était mécaniquement tue.  Même lui, même l’acier se tordait de douleur.  Mais il vivait encore. Mal.  Comme le jeune enfant, juste à côté de lui.  Les lumières, fragiles, étaient mortes, en mille morceaux, elles aussi.  Les marbres imploraient ; et confessaient leurs faiblesses que le rouge cardinal absolvait en de trop nombreuses galeries.  Voilà, ça y est, cette fois, les hommes et les femmes arrêtent courir.  Et paressent, enfin. Sans culpabilité.

Et puis, il y avait toujours Isa, qui était là, à quelques enjambées de Rose, qui lui avait jeté une dernière gerbe, une dernière couronne d’amour, un dernier sourire. Et, elle, Isa, elle respirait d’espoir.

                                                                          *

                                                                  *             *

Devant, derrière, à droite, à gauche, partout, il y avait des rouges dans lesquels on croirait se noyer.  Oui, c’est ça : il y avait encore quelque chose de pétillant, d’enivrant, dans ces couleurs tapageuses, presque trop vives pour être vivantes.  Quelque chose de Bologne ou de New-York, quelque chose dont on se souvient.

Souvent.

Trop souvent.

 

 

 Epilogue

                Sept ans plus tard.

Après le décès de Rose lors de l’attentat à la gare Centrale de Milan, John avait décidé de tout quitter. Pour l’Afrique. Mais sans jamais comprendre ce qui lui était arrivé. Quoique…Si, peut-être : aujourd’hui, il avait compris ce que c’était que de perdre un bijou. Que l’important n’était pas de le choisir, mais de savoir le garder. Un bijou qu’il aimerait toujours, qui ne mourrait jamais vraiment.

 

Voici la photo de John. A ce jour.